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empiétement, mais à la condition que l’extension ne portera que du côté de l’étranger : qu’on s’annexe l’Allemagne, qu’on nous donne Fidelio avec Mlle Krauss, Oberon avec Mme Patti, et qu’on prenne à son compte tant de trésors inexploités. Le jour où le Théâtre-Italien n’aurait d’autre ressource que celle d’appeler à lui les jeunes compositeurs français et de faire traduire à son profit les partitions dont ne veulent ni l’Opéra, ni l’Opéra-Comique, ce jour-là sa ruine serait consommée, et mieux lui vaudrait fermer ses portes que de tenter une pareille régénération. Du reste les essais auxquels on s’est livré l’an passé ne sont pas pour encourager beaucoup. Le Struensée de Meyerbeer, le Piccolino de Mme Grandval, la Contessina du prince Poniatowski, n’ont rien produit. Aux Italiens, il n’y a de salut, je le répète, que dans l’active et intelligente exploitation du répertoire, un des plus riches qui se puisse imaginer et des plus faciles à varier, puisqu’on y peut faire entrer les chefs-d’œuvre de Beethoven et de Weber.

Réunir sur un point donné le plus de forces, c’est la vraie loi pour vaincre, au Théâtre-Italien comme à la guerre. A vouloir obstinément courir les aventures, on finirait par perdre son public, déjà bien dispersé depuis quelque temps, ainsi que vous le fait trop voir à certaines soirées l’aspect de cette salle panachée de contrastes où, dans les loges découvertes du premier rang, des princesses du monde interlope étalent leurs diamans et leurs guipures à côté d’un groupe de gens à peine décemment vêtus : le fiacre de la rue aux Ours à côté du huit-ressorts de la fille entretenue... Qu’est devenu ce public homogène d’autrefois qui faisait la respectabilité du Théâtre-Italien comme il en faisait les grosses rentes? C’est cette clientèle intelligente et passionnée, « ce public de la location, « qu’il faudrait tâcher de reconstituer avant tout, et l’on n’y parviendra qu’en ne s’écartant pas du programme traditionnel. La désuétude aura beau s’y mettre, elle n’empêchera pas qu’on chante là comme nulle part ailleurs on ne chante. Allez entendre le Trovatore aux Italiens après avoir entendu le Trouvère à l’Opéra; ce n’est plus la même musique : nombre d’effets qui passant inaperçus ou qui vous choquent rue Le Peletier, à Ventadour s’accentuent, se nuancent, le détail ressort mieux, la rudesse, au lieu de tourner à la sauvagerie, s’humanise par l’effort et le style de l’interprétation. La dernière fois que j’avais entendu le Trouvère à l’Opéra, une exécution des plus détestables m’avait presque dégoûté de cette musique : M. Morère faisait Manrique, M. Caron le comte de Luna, et Mlle Hisson Léonore; c’étaient des cris à mettre en fuite toute une salle, vous eussiez dit une gageure. Cette année, pour sa fête d’ouverture, le Théâtre-Italien avait choisi le Trovatore; quelle différence! Si l’exécution de cette musique à l’Opéra semblait n’avoir à cœur que d’en accuser les défauts, l’interprétation italienne lui rendait cette fois tous ses avantages, lesquels ne