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liers avait été annoncée, on avait réglé l’ordre des processions, rédigé les discours, préparé les banquets, tout était prêt pour le 8, et, impatiens comme des enfans, les habitans de San-Francisco ne se souciaient pas d’attendre, même quarante-huit heures, que leurs rivaux fussent comme eux arrivés au point d’embranchement.

La ville était donc ce jour-là en grande fête : les maisons étaient garnies de drapeaux, les navires pavoisés de haut en bas ; un salut de cent coups de canon fut tiré; les rues étaient encombrées d’une foule endimanchée ; de nombreux cortèges, formes par les membres des associations ou corps de métiers, francs-maçons, gymnastes, volontaires, mécaniciens, pompiers, se succédaient sans interruption. Les pompiers eurent la palme, peut-être parce qu’ils firent le plus de tapage. Ils promenaient une vingtaine de pompes à vapeur traînées par de magnifiques attelages à quatre chevaux, et c’était parmi les machinistes à qui ferait siffler sa pompe le plus fort et le plus longuement. Ce vacarme ne contribua pas peu à porter l’enthousiasme au comble. Les honneurs de la journée furent cependant pour une locomotive neuve sortant d’un des ateliers de San-Francisco. Elle était placée sur un char tiré par vingt superbes chevaux gris attelés avec de grosses chaînes de fer en cinq rangs de quatre de front chacun. Deux grands gaillards conduisaient cet imposant attelage. Sur la locomotive, un nombre considérable d’ouvriers étaient groupés en costume de travail. C’était d’un grand effet, et la foule applaudissait avec ardeur. Puis venaient des musiciens jouant faux, les ordonnateurs de la fête à cheval, moitié honteux, moitié fiers de servir de point de mire à la curiosité publique, des soldats, des artisans, des membres de la Société philharmonique. Bref, la moitié de la ville figurait dans ce cortège, et l’autre moitié se pressait sur son passage. Le soir, il y eut illumination générale.

J’avais assisté avec intérêt à toute la fête; mais ce qui m’amusa plus encore, ce fut d’en lire le compta rendu dans les divers journaux californiens. L’exagération dont le journaliste américain aime à faire preuve est divertissante. Il est difficile de lire un journal sans trouver sujet de rire : quelques rédacteurs excellent surtout à enfiler des phrases creuses et à débiter des mots sonores; il y en a qui pratiquent de préférence le paradoxe, ou font étalage d’un grossier cynisme; d’autres enfin écrivent sur un ton de bouffonnerie pathétique dont b secret n’existe qu’en Amérique. A l’occasion de grands événemens nationaux, comme l’inauguration du chemin de fer du Pacifique, tous les journalistes sont d’accord pour faire parade d’un patriotisme théâtral qu’ils développent à l’envi dans des articles d’un lyrisme inoui. On manque rarement en pareille cir-