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choses se prolonge, les médisans auront bientôt raison, qui prétendent que l’Athénée possède à cette heure une troupe fort supérieure.

L’assertion est exagérée; il n’en reste pas moins vrai que ce petit théâtre montre une activité des plus méritoires. Avec des ressources assez bornées, sans recevoir de l’état aucune subvention, il a réussi à se composer un personnel chantant très présentable, un ensemble à la tête duquel figurent une virtuose de bon aloi, Mlle Marimon, et deux ou trois sujets qui seraient remarqués même sur une scène plus relevée. Il suffira, pour s’en convaincre, d’aller entendre le Crispin des frères Ricci et la traduction de Tutti in Maschera du signor Pedrotti, charmant ouvrage qui, après avoir fait le tour de l’Italie, est venu prendre gîte dans ce modeste coin on ne peut plus hospitalier, capable d’accueillir, lorsqu’il s’en présente, jusqu’à des musiciens français, à une condition cependant, c’est qu’ils ne travailleront pas dans le genre de l’opérette, car de cette musique charivarique, dont la plupart des théâtres sont infestés, cette petite scène a le courage de n’en pas vouloir; elle se rebiffe à la seule vue de ces partitions d’estaminet qui dégradent l’art musical, et si elle a connu les mauvais jours, c’est, on peut le dire bien haut à son honneur, pour n’avoir jamais voulu sacrifier à l’idole funambulesque; potius mori quam fœdari. J’admire qu’une si énergique protestation soit venue d’une scène qui, pour s’enrichir tout de suite, n’aurait eu, comme tant d’autres, qu’à tenir boutique de produits frelatés. Rossini, morose et vieilli, n’avait plus qu’un dégoût en ce monde; une seule chose le tirait de son apathie, l’idée de la dépravation finale du goût, indignement faussé d’en haut comme d’en bas : d’en haut par les doctrines hypercritiques du messianisme wagnérien, d’en bas par les bonimens tintamaresques des vendeurs d’orviétan, « Quoi que nous fassions, disait-il avec une sorte d’amertume mal déguisée, c’est à ces gens-là que l’avenir appartient. » Eh bien! il se trompait. L’immense échauffourée du Rheingold ne présage déjà point tant de merveilles; combien de pèlerins sont revenus l’oreille basse de cette foire de Munich où s’étaient donné rendez-vous tous les enthousiasmes et toutes les vanités? D’autre part, nous voyons ici que les crincrins commencent à s’user. C’est assurément fort peu encore que la protestation d’un théâtre comme l’Athénée ; on ne peut cependant s’empêcher d’en tenir compte. Hasard ou signe du temps, c’est un fait à ne pas dédaigner. Pourquoi ces efforts, qui naguère se dépensaient en pure perte, réussissent-ils aujourd’hui? En dépit de la commission des auteurs, en dépit de la vogue un moment si menaçante des orchestres de Barbarie, ce théâtre est resté debout, attendant, préparant des jours meilleurs à force de sacrifices et d’industrieuse activité. Remonter les courans de la sorte, c’est prouver qu’on a la vie dure, et je conseille aux voisins d’être sur leurs gardes.

Le Théâtre-Italien ne serait point fâché de varier un peu son fonds