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pour offrir au public une de ces partitions où, comme dans la Petite Fadette, se révèle à chaque page la plus intime connaissance du secret des maîtres. Je dirai même que cette fréquentation trop assidue n’aura pas été sans inconvénient pour le compositeur. Le détail symphonique l’absorbe, il s’y attarde, s’y oublie, et la phrase, qui semblait s’annoncer si bien, en reste là. Elle sort cependant par intervalles, pleine alors d’expression poétique ou de naturel, comme dans cette mélopée que Fadette soupire au clair de lune et surtout comme dans cette exquise ariette de la bonne femme disposant ses plantes pharmaceutiques. Ce morceau mérite une mention à part; Boïeldieu, dans l’air du rouet de la Dame Blanche, n’a pas mieux fait. Quel tour mélodique charmant et quelle ingénieuse distinction dans la manière dont le dessin vocal soutenu par les violons est accompagné par les clarinettes et les hautbois! Mme Révilly débite avec un sentiment très juste cette délicieuse chansonnette. Sa mauvaise voix au moins ici ne gâte rien. Je regrette de n’en pouvoir dire autant de Mme Galli-Marié, réduite maintenant à mimer toute la partie musicale de ses rôles, ce qui fait que la rêverie de Fadette sur le seuil de sa cabane, inspiration élevée et pathétique, passe complètement inaperçue. Le duo qui suit entre la petite paysanne et son amoureux Landry s’efforce de remplacer par des harmonies fines et délicates l’idée mélodique qui ne vient point, et bien lui prend de se transformer en trio à l’arrivée de Sylvinet, car la situation ne serait en vérité pas tenable, M. Maillard l’ayant déjà traitée dans les Dragons de Villars et de façon à ne permettre à personne d’y plus toucher. Qui ne se souvient de cet adagio si nuancé, si coquet et en même temps si naïf dans sa demi-teinte : Moi jolie ? Tout le caractère de la Petite Fadette, du moins en ce qu’il a de scénique, est tracé là comme par un Greuze musical.

Ce que c’est pourtant que de savoir aborder une situation! M. Maillard, en musique, est un homme de théâtre, M. Semet n’est qu’un élégiaque; aussi je ne m’étonne pas qu’à l’Opéra-Comique le sujet ait tout de suite paru manquer de nouveauté. Le succès des Dragons de Villars avait dès longtemps escompté celui de la Petite Fadette; l’imitation avait lestement pris les devans, et c’est l’original qu’on accuse aujourd’hui de ressembler à la copie. Ni plus ni moins que ce ténor italien qui, voyant représenter le Barbier de Séville à la Comédie-Française, voulait absolument que ce fût Beaumarchais qui eût dépouillé le librettiste de Rossini, une certaine partie peu lettrée du public ne pardonnait pas à George Sand d’avoir de si belle façon dévalisé MM. Cormon et Lockroy. Notez en outre que les Dragons de Villars conservent cet avantage d’être une pièce intéressante et bien faite. Les auteurs, gens fort experts en matière d’opéra-comique, s’étaient contentés d’emprunter au romancier un type qu’ils avaient ensuite dépassé de leur mieux, inventant une action, créant autour de lui d’autres personnages. Cette manière peut