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deau baissé : cela dure à peine vingt secondes, et suffit presque pour jeter un froid. Qu’on se figure ce que doit être en pleine action, en pleine tourmente théâtrale, l’effet de cet orchestre si platoniquement descriptif. C’est à se demander ce que le musicien a voulu faire; Mme Scarron remplaçait à sa table le rôti absent par quelque historiette bien narrée; l’auteur du Dernier Jour de Pompéi savait-il d’avance à quel Vésuve impotent il aurait affaire, et son intention a-t-elle été de suppléer par un morceau de musique au manque de tableau final? On peut l’admettre; mais en ce cas je ne m’explique pas très clairement l’expression bucolique de son intermède : il doit y avoir là quelque pensée transcendentale, quelque allégorie wagnérienne inspirée par un ressouvenir de ce fameux trait de violon chargé, dans l’ouverture de Tanhäuser, d’initier le spectateur à toutes les ivresses de l’amour physique; mystère! Quoi qu’il en soit, l’écroulement des trois villes est consommé; Herculanum, Pompéi et Stabia viennent de disparaître sous les cendres, et voilà deux amans qui traversent les flots sur une barque légère, doucement poussés vers d’autres bords par une brise harmonieuse :

Les canards l’ont bien passée.


Ce dénoûment est peut-être de chez Séraphin; mais la mélodie arcadienne qui cette fois l’accompagne en relèvera la signification bourgeoise aux yeux des gens qui savent lire dans les mythes.

Je ne connais pas le Gil Blas de M. Semet, l’auteur de la Petite Fadette, qu’on joue en ce moment à l’Opéra-Comique; mais je me souviens dans Ondine d’une chanson de taupier très réussie; surtout dans le travail symphonique de l’accompagnement, qui est d’un fouillé merveilleux. J’ai cherché depuis à me procurer ce joli morceau : on ne l’a même pas gravé; grand dommage! c’est un petit chef-d’œuvre perdu. Si parmi tant de musiciens qui comptent aujourd’hui, il en est dont la rage est de vouloir faire plus que de la musique, d’autres dont l’industrie est de faire beaucoup moins, quelques-uns s’en tiennent encore à pratiquer tout simplement la tradition, et c’est dans ce nombre d’honnêtes et bons esprits que doit être classé M. Semet. Avec des. titres fort estimables, les Nuits d’Espagne, Gil Blas, — un grand succès au Théâtre-Lyrique, — Ondine, M. Semet n’a guère conquis jusqu’à présent qu’une demi-célébrité. Les artistes l’aiment et le considèrent, le public le connaît à peine. C’est un de ces talens modestes qui cachent leur vie et prennent un emploi souvent très humble pour pouvoir se livrer en toute indépendance à leurs travaux d’imagination. Timbalier dans l’orchestre de l’Opéra, il y vit depuis des années comme le chercheur de perles sous sa cloche, et c’est de ce gouffre de résonnance qu’il sort de loin en loin