Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

empruntés à l’histoire du monde romain. Les Martyrs, Herculanum, le Dernier Jour de Pompéi, toujours la même fable de moins en moins bien racontée. Lors de la reprise d’Herculanum à l’Opéra, nous remarquions qu’un certain détestable genre aujourd’hui fort à la mode, et qu’on nomme vulgairement l’opérette bouffe, rendait désormais impossible de représenter au sérieux une scène antique, et songez que cette musique dont nous avions eu le sens perverti par ces misérables ritournelles qui empoisonnent l’atmosphère était de M. Félicien David, que ces personnages qu’une fausse optique nous montrait paradant sur le théâtre et dignes seulement des lazzis du public étaient des artistes d’un ordre supérieur. Que voulez-vous maintenant qu’il en soit quand, au lieu d’être à l’Opéra, vous vous trouvez au Théâtre-Lyrique? Comment traiter avec respect ces augures, s’intéresser à leurs passions, à leurs discours? Comment ne pas éclater de rire au nez de cette espèce d’Alcibiade coiffé du bonnet phrygien qui, sous prétexte d’épuiser la coupe de la folie et de la volupté, s’allonge sur une sorte de civière à porter les malades à l’hôpital, et, pendant que trois ou quatre parasites de carton débitent sur un mode piteux le chœur des vieillards dans Faust, contemple vaguement une malheureuse aimée rabâchant le vieux pas de l’écharpe :

Je me sens altéré,
Verse-moi quelque froid breuvage ?


Et le brave homme tend son verre à son esclave, qui l’intoxique. Ici le sang-froid vous abandonne, vous n’êtes plus au Théâtre-Lyrique, vous êtes aux Bouffes-Parisiens. Que peut un infortuné musicien contre une pareille mise en scène? Il continue à s’escrimer avec toutes les rages de la conviction : grondement des basses dans l’orchestre, violons à l’aigu, au suraigu, rhythmes contrariés, tremblement souterrain annonçant le prochain cataclysme; mais, hélas! rien n’y fait, plus la symphonie a l’air de croire que c’est arrivé, plus l’hilarité devient générale, et quand le Vésuve se décide à se mettre en colère, alors, oh! c’est alors que la gaîté touche à son comble, et qu’on se prend à plaindre le compositeur fourvoyé dans cette galère !

Après un remarquable morceau d’ensemble très vigoureusement enlevé à la Verdi, personnages et chœurs se dispersent épouvantés, et la parole reste au seul orchestre, qui commence à nous débiter son récit de Théramène, On n’imagine pas l’effet risible que produit cette symphonie succédant ainsi sans transition au tumulte excessif des voix continué à plaisir depuis trois heures. C’est assurément ce qui se pouvait concevoir de plus anti-dramatique. Tout le monde a présentes à la mémoire ces quelques mesures par lesquelles se termine un opéra, et qui parfois, comme dans Don Juan, se prolongent un rapide instant, le ri-