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rait qu’à renoncer à cette gloire pour le reste de ses jours, tandis que si vous avez l’air de revenir de Corinthe ou de Munich, si vous débutez par un Sardanapale ou par quelque sublimité du même ordre, vous voilà d’emblée hors de pair et en position de systématiser vos erreurs. Tomber au théâtre n’est point si désastreux qu’on pense, il s’agit de s’arranger de manière à se donner une attitude; celle d’initié aux mystères de la fameuse école de Weimar réussit pour le quart d’heure assez bien, et pendant qu’il en est temps encore je conseille aux jeunes compositeurs en mal de génie d’en user et d’en abuser chaque fois qu’ils rencontreront une scène capable, comme le Théâtre-Lyrique, de bien vouloir se ruiner héroïquement par simple amour de ce bel art.

Ce que je reproche à M. Joncières, c’est de ne pas être assez de son opinion, de n’avoir que la foi, et de manquer des qualités indispensables pour la pratique. Il se peut que l’auteur du Dernier Jour de Pompéi affiche très haut les théories des maîtres sonoristes; mais son orchestre ne prouve guère qu’il ait mis à profit leur science. Du bruit et puis du bruit; ni coloris ni invention, et dans la coupe des morceaux, dans la distribution des voix, une largeur de conscience qui ne recule pas devant l’emploi des formules italiennes les plus rebattues, — cette fameuse phrase renouvelée de la Lucie par exemple, au moyen de laquelle on obtient, en tenant en suspens l’action dramatique, certains effets prestigieux de sonorité, et qui semble vous crier par toutes les voix des chanteurs et de l’orchestre : station de Donizetti, cinq minutes d’arrêt! Nous ne voudrions décourager personne; il convient cependant d’avertir qui se trompe. Le jeune musicien qui nous occupe paraît avoir besoin d’être mieux conseillé. L’aventure de Sardanapale n’ayant point réussi, malgré l’effort d’une Nilsson, l’habileté eût voulu qu’on y regardât à deux fois avant de recommencer en de bien pires conditions, alors qu’on n’avait avec soi qu’un poème à tout écraser et une exécution solennellement dérisoire. A distance, cette chute, ou, si l’on aime mieux, ce demi-succès de Sardanapale pouvait servir de texte aux plus agréables commentaires sur les dispositions et l’avenir du jeune compositeur. Le Dernier Jour de Pompéi, avec ses continuelles réminiscences de Verdi et de Donizetti, son style composite, ses défaillances instrumentales, que cherchent vainement à déguiser toutes ces suites harmoniques d’une rudesse étrange, toutes ces combinaisons de timbre qui voudraient bien vous faire croire à des abîmes de science, le Dernier Jour de Pompéi est venu maladroitement couper court aux illusions, et ce serait aux véritables amis de M. Joncières de lui répéter ce mot de Delacroix, qui disait à un jeune dessinateur déjà très célèbre et comblé de toutes les faveurs de la fortune : « Vous voulez faire de la peinture, monsieur, mais alors il vous faudra longtemps et beaucoup travailler. »

Du reste il y aurait peut-être lieu d’en finir avec ces grands sujets