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de botanique. Ce fut cinq ans après que le choix de Dufay mourant le désigna pour l’intendance du Jardin du roi. Sa vocation fut dès lors décidée, et il s’appliqua de toutes les forces de son génie à mériter cette épigraphe qu’on devait mettre un jour sur sa statue : naturam amplectitur omnem. L’écrivain chez Buffon a éclipsé le savant. En somme, il n’a laissé que bien peu d’observations nouvelles et d’expériences précises. Son génie oratoire se complut soit dans des œuvres de haut vol, où se déroulent avec audace les hypothèses les plus hasardées, soit dans de splendides descriptions qui brillent surtout par la belle et majestueuse ordonnance des détails.

À côté de Buffon et sous sa direction, nous trouvons dans le Jardin du roi une phalange d’éminens collaborateurs. Nommons d’abord Daubenton, compatriote et ami de l’historien de la nature. Il rédigea en partie les premiers volumes de l’Histoire naturelle des animaux ; mais il eut à souffrir d’un contact trop soutenu avec la hautaine personnalité de son ami, et il finit par s’absorber tout entier dans les collections du jardin, dont il fit un magnifique musée. On sait aussi que ce fut Daubenton qui naturalisa en France la race des moutons espagnols à long poil. — Voici maintenant toute la famille des Jussieu, c’est-à-dire une série de travailleurs assidus et modestes, qui ont fait sans bruit une œuvre considérable et créé en quelque sorte la science des plantes. Antoine de Jussieu, le premier membre célèbre de cette famille, était fils d’un apothicaire de Lyon. Venu à Paris, il fut distingué par Fagon, qui le choisit à vingt-trois ans (1709) pour remplacer Tournefort comme professeur de botanique au Jardin du roi. Appelé en 1711 à l’académie, il fut chargé d’une mission scientifique en Espagne, et en rapporta d’excellens mémoires sur les diverses branches de l’histoire naturelle. Antoine éleva et instruisit son jeune frère Bernard, homme rare et éminent, qui amassa des trésors d’observations et qui, sans les produire lui-même, les légua précieusement aux héritiers de son nom. L’esprit de famille et d’union brilla au plus haut point chez les Jussieu. Dans la petite maison de la rue des Bernardins, qu’habitaient Antoine et Bernard, on vit arriver un jour un troisième frère, Joseph, celui qui avait fait partie de l’expédition de Bouguer et de La Condamine. Resté en Amérique bien longtemps après ses compagnons, il revenait tout à fait épuisé ; son intelligence ruinée ne conservait plus même le souvenir de ses longs voyages. Ses frères n’osèrent pas le montrer à l’académie, qui l’avait élu en 1743, pendant son absence ; mais ils lui prodiguèrent à leur foyer les soins les plus affectueux.

Antoine mourut en 1758, et Bernard continua seul le travail commun, accumulant avec patience de précieux matériaux que sa modestie l’empêchait de livrer au public. En 1765, il appela auprès de