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époque. L’académie, à l’instigation de ses chimistes, passe un temps considérable à suivre des distillations : on espérait ainsi séparer les essences des corps; mais on n’arrivait qu’à en détruire ou à en confondre les principes immédiats. « La compagnie étant assemblée le 14 juillet 1667, M. Bourdelin a fait voir l’analyse de quarante crapauds tout vivans; il y en avait qui étaient gardés depuis dix-huit jours dans un panier, et ceux-là sentaient fort mal. Ils pesaient 2 livres, 11 onces et plus. On en a tiré 35 onces et 3 gros de liqueur. Les 5 premières onces ont été tirées au bain vaporeux. La première, claire et limpide, d’une saveur piquante, a blanchi l’eau de sublimé; la seconde a rendu laiteuse l’eau de sublimé; la troisième a troublé l’eau de vitriol, etc.. Il en reste 10 onces fort sèches. » Une autre fois nous retrouvons le même M. Bourdelin apportant l’analyse de « 3 livres d’excellent café. Les 3 livres ont donné 20 onces 7 gros de liqueur qu’on a tirée par la cornue. La première partie, de 4 onces, un peu austère, a rougi le tournesol. La seconde, avec un peu d’acidité, a fait couleur de vin de Chablis avec le vitriol. La troisième a fait couleur de minium en mettant une portion de vitriol sur sept de cette liqueur. La quatrième, d’odeur de cumin austère et amère, a rendu laiteuse la solution du sublimé, etc. La tête morte avait plus de volume que le café. » Voilà du café bien mal employé, M. Bourdelin eût mieux fait de le boire.

Au milieu des nuages de cette chimie antérieure à Lavoisier, deux noms se distinguent, ceux de Homberg et de Leymery. Ils ont fait autorité dans leur temps; ils ont été cités par Voltaire, d’Alembert et les encyclopédistes. Homberg était fils d’un gentilhomme saxon ruiné par la guerre de trente ans, et qui avait émigré à Batavia pour essayer d’y refaire sa fortune. Le jeune Homberg vint de bonne heure en Europe, et suivit les cours des principales universités de l’Allemagne, où il acquit une instruction très sérieuse sur toutes les sciences alors cultivées. Cette instruction fut complétée par des voyages, et Homberg avait déjà en Europe la réputation d’un savant distingué quand il fut appelé en France par Colbert. Il se lia avec le duc d’Orléans, qui le nomma son médecin, et qui installa pour lui le plus beau laboratoire de chimie qu’on eût encore vu. Ses relations avec ce prince amenèrent un jour sur la tête de Homberg de sinistres accusations. Quand la mort frappa la famille royale à coups redoublés, que le dauphin, puis la duchesse et le duc de Bourgogne disparurent soudainement, bien des gens voulurent voir dans ces catastrophes la main du duc d’Orléans; le mot de poison fut prononcé, et l’officine de Homberg suspectée. Le roi méprisa ces clameurs accusatrices; mais elles assombrirent les dernières années du chimiste. Les mémoires de l’Académie des Sciences contiennent un grand nombre de travaux de Homberg. C’était un expérimentateur infatigable, et il