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sourde et continue au système monarchique, et jamais la nation ne s’était montrée plus attachée de cœur à la royauté. Il léguait à l’Angleterre une apologie de Napoléon, et la popularité de la dynastie perpétuait dans son pays le triomphe de la légitimité. En littérature, où il suivait le mouvement général, ses jugemens se compliquaient souvent de ses antipathies politiques. Dans les arts, il contrariait les goûts de l’aristocratie, qui seule s’intéressait d’une manière évidente à la question ; il combattait les opinions reçues et renversait les traditions. De plus, le sentiment très vif de sa supériorité le rendait hautain. Il abordait de front ses adversaires, et il en avait sur tous les points, il en cherchait au besoin. Sa manière même de composer était provoquante. Il allait droit à ce qui lui paraissait faux, et poussait sa pensée jusqu’à la limite extrême. Sans reconnaître, sans contester ce qui avait été dit sur un sujet, il se bornait à dire ce qui lui semblait nouveau. La critique des devanciers lui apparaissait comme un grand livre que tous pouvaient lire et d’où il était inutile de rien extraire. Il se contentait d’écrire en marge sur ce livre : ce n’était pas sa faute si ces observations, placées pour ainsi dire en vedette, attiraient les yeux et semblaient dictées par l’humeur contredisante. Hazlitt laissa la réputation d’un esprit paradoxal. Nous ne pouvons, nous, être blessés de ces allures originales ; elles le tirent de la foule et le mettent en lumière. Nous lui savons gré d’avoir évité toute compilation, d’avoir eu l’horreur des redites. Aujourd’hui des radicaux sont au pouvoir, mais ni l’esprit de secte, ni la doctrine utilitaire n’y est entrée à leur suite ; la dynastie royale s’appuie sur l’affection des sujets, et cependant elle exige d’eux si peu de sacrifices de leur indépendance qu’ils peuvent se croire en république. À qui le temps a-t-il donné raison, d’Hazlitt ou de ses mortels ennemis les tories ? Les velléités d’humeur du juge en matière de goûts sont oubliées ; les années ont consacré la plupart de ses arrêts littéraires. Une école remarquable de peinture a prouvé tout au moins que l’auteur de tant d’écrits sur l’art ne prêchait pas dans le désert. Les paradoxes d’hier sont devenus, en grande partie du moins, des vérités. Il est donc permis de dire en toute assurance, et avec le beau sens que les Anglais attachent à ces expressions, que William Hazlitt, malgré quelques entraînemens, fut « un critique noble et libéral, » noble à cause de son grand talent, libéral à cause des généreux principes qu’il a toujours défendus.


Louis Étienne.