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entre l’artiste et les chefs-d’œuvre qu’il était seul capable d’apprécier ne tombait parfois que devant le noble visiteur descendant d’une chaise de poste ou arrivant à cheval accompagné d’un domestique en riche livrée. Les offres les plus généreuses d’un touriste à pied n’étaient pas toujours entendues. La fantaisie du maître ouvrai, ou fermais tour à tour les collections, et Hazlitt fut contraint de décrire de mémoire des œuvres que depuis plusieurs années il n’avait pas vues. C’était un premier obstacle à l’entreprise de populariser les notions d’art. Le libéralisme des grands seigneurs d’Italie faisait absolument défaut à l’aristocratie anglaise. Ce n’est pas tout, l’amour de l’art s’est développé en Angleterre bien après la richesse. Quand les personnes qui pouvaient payer ces nobles jouissances commencèrent à soupçonner le plaisir que peut procurer un précieux marbre ou bien une noble peinture, le superflu de la fortune avait trouvé d’autres issues. La balance nécessaire entre l’excédant de la richesse et le sentiment du beau n’existait pas dans ce pays : l’argent par sa pente naturelle allait à la rareté, à l’orfèvrerie, aux mosaïques étrangères, aux pierres précieuses, aux porcelaines. De là cette tendance tout anglaise à l’étalage de l’or et des pierreries. « Ceci est à moi, semblait dire au public toute personne qui ouvrait aux visiteurs ses salons encombrés de trésors, et il n’y a personne au monde qui ait le droit d’éprouver à la vue de toutes ces choses d’autre sentiment que celui d’admirer combien je suis riche. » Hazlitt a combattu avec esprit, avec éloquence, ce double préjugé du faste qui étale les raretés et de l’avarice qui cache les chefs-d’œuvre. Tandis que le roi, la cour, la noblesse, couraient à l’exhibition de la richesse ou des objets d’art dont la garde jalouse faisait à leurs yeux le plus grand prix, l’écrivain radical invoquait le principe humain, généreux, du partage des jouissances de l’esprit. Il montrait que l’œuvre d’un grand maître agrandit la pensée de tous ceux qui l’admirent, autant que l’appareil de la fortune rapetisse les âmes de tous ceux qui en sont les témoins curieux. En soutenant cette thèse, que faisait-il, si ce n’est de porter dans la critique d’art les mêmes sentimens sympathiques et libéraux dont en dernière analyse tout lecteur équitable peut le voir partout inspiré ?

Hazlitt mourut en 1830, quelques mois après notre révolution de juillet. Toutes les causes qu’il avait défendues étaient encore pendantes ; il avait eu sa part de toutes les défaites que son drapeau avait essuyées. Le succès de la réforme parlementaire était encore douteux. Le radicalisme, il est vrai, gagnait tous les jours du terrain ; mais il semblait étroitement lié à la doctrine utilitaire. Les idées d’Hazlitt paraissaient donc condamnées. En politique, les événemens lui donnaient tort comme en morale. Il avait fait une guerre