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a été pour les Anglais le théoricien de la nature. Reynolds, dont les Discours sur l’art sont estimés, avait développé la théorie contraire. Il proposait pour objet aux artistes l’idéal ; mais cet idéal, qui est une chose réelle et vraie tant qu’il reste dans la métaphysique pure, perd toute sa valeur, s’il est envisagé d’une manière pratique et en quelque sorte grossière. Choisissez non le modèle, mais les traits qui le composeront ; prenez des formes non individuelles, mais moyennes ; voyez plusieurs objets à la fois, jamais un seul en particulier ; songez à l’ensemble et négligez le détail : vous êtes alors, suivant Reynolds, sur le vrai chemin de l’idéal, et vous n’avez qu’à marcher devant vous. On reconnaît ici la théorie de Cicéron, qui nous semble, par l’assimilation de l’éloquence à la philosophie, altérer singulièrement celle de Platon. Hazlitt, que les attaches de l’autorité des anciens n’incommodent en aucune façon, a rompu complètement avec cette doctrine. Le mot d’idéal, il ne le repousse pas ; il est vrai qu’il n’y met pas d’autre sens que celui du mot réalité. L’artiste choisit ses modèles suivant la beauté qu’il y entrevoit ; mais c’est toujours une imitation immédiate des objets qu’il se propose. Raphaël a pris ses vierges dans la nature, et c’est la nature qui a fourni les belles formes qui respirent dans les marbres du Parthénon. Dans ses essais et dans ses livres spéciaux, par occasion ou directement, partout, Hazlitt a réfuté Reynolds. L’étude du mouvement de l’art en Angleterre remonte donc à lui comme à l’une de ses sources. Si l’on avait le loisir d’instituer une comparaison entre l’auteur des Criticisms et M. Ruskin, on arriverait peut-être à se convaincre que les idées du second sont à plusieurs égards le développement extrême des idées du premier. Sauf les exagérations, nous sommes porté à penser que le génie moderne, qui en tout aspire à l’affranchissement, penche du côté de cette doctrine de la nature, nous dirions du naturalisme, si ce mot ne semblait pas un peu gros de prétentions. Relisez une page bien remarquable de Goethe, celle où Werther dessine ce groupe de deux enfans, le premier de quatre ans, le second de six mois, dans les bras l’un de l’autre.

Point d’autorité, peu de raisonnement, de la métaphysique, mais pas d’autre que celle du sentiment, on voit que notre auteur établit dans les arts les mêmes principes qu’en morale et en littérature. Reste une seule observation à faire pour retrouver Hazlitt toujours semblable à lui-même. De son temps, les galeries les plus précieuses appartenaient à de riches propriétaires, et, dispersées dans les différens comtés, étaient d’un accès difficile. Gardées comme le jardin des Hespérides, quelque indomptable dragon, sous la forme d’un intendant, veillait à l’entrée de ces collections comme si l’admiration publique en eût diminué la valeur. La fatale barrière élevée