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tout ce qui porte l’esprit contemporain à réclamer un partage égal des avantages sociaux, il voulait le libéralisme largement appliqué au domaine des lettres et des arts ; il rêvait de voir le beau, cet ornement de la vie humaine, cesser d’être le patrimoine de certaines classes, et devenir l’héritage de tous. Tel est le caractère généreux de ses ouvrages, et c’est pour cela qu’il nous paraît un critique vraiment moderne.

Les dernières années d’Hazlitt furent à peu près consacrées à la publication de ses écrits divers sur les arts. Ces morceaux détachés, formant trois volumes, Criticisms on art et Conversations of northcote, ont le mérite d’avoir stimulé le goût anglais, qui commençait à s’éveiller, d’avoir répandu dans un public presque entièrement novice les idées et les notions relatives à la peinture et à la sculpture. L’Angleterre est la dernière venue au banquet des arts ; elle y a sa place. C’est la nature libre, sans procédés, sans conventions, qui règne sur ces toiles que nous n’avons pas vues d’abord sans surprise. Il ne faut pas croire cependant que les Anglais aient commencé par là, ni que cette peinture ait pris naissance comme une génération spontanée. La nature ne vient pas ainsi prendre les hommes par la main : suivant le mot de Goethe, elle nous dérobe ses secrets avec obstination. Il y a eu des peintres avant Reynolds, et Reynolds lui-même était non-seulement un disciple scrupuleux des anciens maîtres, mais un adepte fervent de l’idéal. La peinture a été longtemps pour l’Angleterre un objet d’exportation, et même une marchandise qu’elle a d’abord reçue sous pavillon étranger. Elle faisait venir du continent sas peintres comme ses chanteurs d’opéra, ses maîtres de danse et ses cuisiniers. Elle eut ensuite des artistes anglais ; mais l’art continua d’être un produit étranger introduit par des nationaux. Ils n’avaient rien qui ne fût italien, flamand ou hollandais. Les Anglais sont un peuple laborieux par goût et triste par humeur. Tout ce qui est pénible et dur, canaux, machines, industrie, labour, travaux scientifiques, problèmes ardus d’économie politique, — tout ce qui n’a ni fleur ni sourire a des attaches singulières pour ces hommes froids, sérieux et robustes. Dans ces sortes de labeurs, ils n’ont pas besoin du continent. On dirait que l’épanouissement du plaisir leur est étranger. Ils le ressentent au fond de l’âme, et le rendent par la poésie comme par une sorte de respiration. Ils ne l’expriment point par les sens et pour les yeux. Ils y arrivent cependant, mais beaucoup plus tard que les autres peuples, — singulier désavantage dans les arts, où les temps postérieurs semblent toujours frappés d’une espèce de stérilité. Ils y arrivent, mais quand le moment favorable est passé. Le sentiment du beau est éveillé, mais le plaisir a pris d’autres routes ; la richesse est devenue trop grande,