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Cette inaptitude d’appréciation du beau trouve souvent son expression dans la raillerie et un mépris apparent. Le parvenu tire quelquefois une sorte de gloire de ne savoir rien démêler aux beautés d’une symphonie, et il n’est pas fâché de raconter que son éducation a été complètement négligée, qu’il ne doit sa propre grandeur qu’à lui-même. Nul ne lui reprocherait ce travers; ce qu’on ne lui pardonne pas, c’est de vouloir s’en faire, par gloriole patriotique, un titre à l’admiration. Pour moi, je ne le crois pas de bonne foi en pareille matière. Il est beaucoup trop fin pour ne pas admettre dans son for intérieur qu’après tout l’Européen a sur lui par-ci par-là quelque supériorité incontestable; le difficile est de l’avouer à un homme sur lequel il sait avoir sous tant d’autres rapports, d’immenses avantages. N’est-il pas libre, n’est-il pas intelligent, hardi, fort, citoyen de la plus jeune, de la plus riche des grandes nations modernes? Qu’aurait-il à envier aux antiques civilisations de l’Occident? Un vieillard aussi a mainte supériorité incontestable sur un jeune homme; la jeunesse pourtant, avec et malgré tous ses défauts, est encore ce qu’il y a de plus enviable au monde.

Il me reste à dire quelques mots de San-Francisco et de ses environs. La ville est bâtie régulièrement et sur un plan qui prouve que les premiers colons avaient pressenti l’importance qu’elle devait prendre un jour dans le commerce du monde. Les rues sont larges, garnies de trottoirs, tirées au cordeau, et se coupent à angles droits. L’éclairage au gaz est d’un usage général. On voit à San-Francisco de grandes maisons d’habitation construites en pierre de taille et qui doivent avoir coûté des sommes énormes au prix où la main-d’œuvre s’est maintenue en Californie; on voit aussi des magasins luxueusement décorés et de jolies villas, résidences particulières des riches marchands qui ont leurs bureaux au centre de la ville, dans Montgommery-street, Californian-street, etc. Les églises et chapelles, consacrées au culte d’un grand nombre de congrégations, ne manquent pas. La synagogue juive est une des plus vastes du monde; mais toute cette architecture est banale, et aucun édifice ne mérite de l’étranger une attention particulière.

Des voies ferrées sillonnent la ville dans tous les sens, et pour quelques cents on se rend en omnibus américain d’un bout de San-Francisco à l’autre. L’omnibus est peut-être la seule chose vraiment bon marché que j’aie trouvée en Californie. Une simple course de fiacre se paie de 12 à 25 francs, et, si le cocher croit s’apercevoir qu’il a affaire à un étranger, il n’hésitera point à exiger le double ou le triple de ce qui lui est dû. La police des rues est mal faite; l’administration municipale laisse beaucoup à désirer. Les Californiens auxquels on en fait l’observation répondent volontiers : « La