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le fruit lentement préparé de ses pensées de jeune homme. Lui qui aimait tant le théâtre, il n’avait pas connu d’autre comédie que ces livres vieux d’un siècle et demi. Toutes les vives impressions qu’il avait reçues des beaux esprits de la cour de Charles II, toutes les joies secrètes et défendues qu’il avait goûtées en cette compagnie audacieuse et raffinée, au milieu de son petit monde campagnard et puritain, voilà ce qu’il a mis dans ses Comiques anglais. Sa littérature dramatique du temps d’Elisabeth ne coule pas autant de source que les ouvrages précédens. Il sort souvent du domaine de ses premières lectures, et, suivant l’observation de Talfourd, ce qu’il écrit a quelquefois été appris la veille. Ce qui n’a pas été, à notre avis, assez remarqué cependant, c’est la belle étude sur le XVIe siècle qui sert d’introduction à ce dernier cours. Nous avons sur ce sujet d’excellens ouvrages, mais pas un chapitre où l’on ait saisi et marqué avec cette force l’influence de la Bible sur la littérature de la renaissance. En résumé, si, comme historien de la poésie nationale, il a été original et nouveau, il le doit au caractère très personnel de ses jugemens.

À mesure qu’il se livrait davantage à la littérature proprement dite, la personnalité gagnait du terrain dans ses écrits. C’est l’écueil où de notre temps la curiosité publique attend les auteurs. De quel sujet parleraient-ils plus volontiers, et en est-il un qu’ils croient mieux connaître ? Nous approchons du moment où Hazlitt à son tour tomba dans le piège. De 1821 à 1822, il passa par une crise des plus étranges. La mort de Napoléon le mit presque au désespoir ; un chagrin d’amour acheva de l’accabler. Il avait quarante ans, jamais il n’avait aimé sérieusement. Ces passions d’arrière-saison ravagent d’autant plus sûrement le cœur qu’elles le prennent au dépourvu, et que, défiant de lui-même, connaissant ses désavantages, comptant avec tristesse ses années, espérant peu de l’avenir, jaloux de l’univers entier, l’homme n’a plus l’orgueil qui soutient ; il se met à la merci de son idole. Hazlitt étonna ses lecteurs par la confidence de son malheureux amour, et mit contre lui le public, ses amis, ses parens. Il publia sous un voile fort transparent les conversations intimes qu’il avait eues avec la jeune fille, les encouragemens qu’il en avait reçus, le refus qui lui fut opposé au-delà d’une certaine limite qui n’était pourtant pas celle de la modestie. Rien ne put vaincre cet obstacle, pas même les propositions sérieuses et plusieurs fois répétées d’un mariage. On en aimait un autre. D’où venaient les familiarités singulières, les excessives privautés dont se prévalait la partie plaignante ? Elles ne pouvaient être expliquées que par la coquetterie ; de plus elles avaient pris naissance dès la première semaine, et, circonstance aggravante, la belle Sarah Walker, fille d’un brave tailleur et d’une prudente maîtresse d’hôtel,