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de nos plus habiles conférenciers échouerait dans une lecture à Londres. C’est un art où quelques-uns seulement réussissent. Dickens y excella. Pas n’est besoin d’un texte inédit ; il lit quelques-unes de ses pages connues de tout le monde, et c’est à sa lecture que le public apporte ses applaudissemens et son argent. Les leçons d’Hazlitt eurent un grand succès ; mais cette fois le sujet, la composition, les idées, tout était nouveau. D’ailleurs les nécessités de la vie, un mariage qui n’avait pas changé sa position de fortune, l’obligeaient de multiplier son industrie d’homme de lettres. De 1816 à 1821, il donna quatre cours de littérature, Characters of Shakspeare’s plays, Lectures on the English Poets, Lectures on the English comic Writers, Dramitic Literature of the Age of Elizabeth. Son attitude dans cette carrière nouvelle a été reproduite avec intérêt par un témoin qui compte parmi les critiques distingués de son temps[1].

Nous ne croyons pas nous éloigner de la vérité en disant que ces quatre ouvrages sont peu connus en France. La critique française n’a guère reçu que de seconde main les idées dont ils sont remplis et qu’ils ont mises en circulation, celles-ci entre autres, que Shakspeare n’est pas dans la littérature du XVIe siècle une exception colossale, une espèce de géant et comme un monstre de beauté que le hasard a vu naître au milieu d’un temps barbare. Ces quatre livres mériteraient une étude approfondie. Il serait surtout intéressant de montrer comment Hazlitt a suivi l’exemple de se reporter vers le temps où la littérature anglaise a été le plus nationale, et de mettre en relief les développemens originaux qu’il a tirés de cette étude. L’initiation lui vint de Coleridge. « Dans l’année 1798, dit-il (les chiffres qui composent ce nombre sont pour moi comme le nom redoutable de Démogorgon), M. Coleridge vint à Shrewsbury[2]. » La résidence du père d’Hazlitt n’était pas loin de cette ville. La philosophie fut l’entrée en matière entre le maître et le disciple ; mais après leurs premières entrevues il se trouva qu’Hazlitt était gagné à la vieille littérature nationale. Coleridge avait le faible d’estimer surtout ce dont les autres ne s’étaient pas avisés ! Un autre maître, le révérend Fawcett, apprit à Hazlitt à mettre sa confiance dans le sentiment personnel. C’était un de ces hommes, comme il s’en trouve plus que les critiques de profession ne l’imaginent, qui ont un jugement exquis lorsqu’ils causent, quoiqu’ils perdent le sentiment du vrai lorsqu’ils s’avisent de faire le métier d’écrivains. Le signal était donné, les perspectives nouvelles étaient aperçues. Dès lors Hazlitt vécut dans l’intimité d’un petit nombre de grands auteurs du passé,

  1. Sergeant Talfourd, Pensées sur le caractère intellectuel de William Hazlitt.
  2. Literary Remains. — My first acquaintances with poets.