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démocratie des ornemens de l’esprit et des jouissances de l’imagination. Insister sur sa lutte contre les utilitaires proprement dits nous entraînerait trop loin ; on peut lire ses essais sur la Raison et l’imagination, sur les Gens de bon sens, et sa notice sur Bentham. Il suffit que dans le critique nous ayons retrouvé le métaphysicien.


III.

Les œuvres de critique littéraire d’Hazlitt nous font pénétrer plus intimement dans son caractère. Là surtout, nous retrouvons le naturel de l’homme, ses passions dans la vie privée et dans la vie politique. Ses premiers essais dans ce genre datent de 1814 ; ils coïncident avec la première restauration. La paix semblait faite au détriment de la réforme et de la liberté ; l’heure était mauvaise pour le radicalisme militant. Hazlitt, de concert avec son collaborateur Leigh Hunt, entreprit la publication d’une suite d’esquisses à la manière du Tutler et du Spectator ; mais le débarquement à Cannes entraîna de nouveau les deux amis dans la tourmente politique. Le nom de Table-Ronde (Round Table) fut donné au recueil de ces morceaux de transition qui ne sont ni tout à fait de la vieille école ni entièrement du genre dont Hazlitt devait faire son domaine. Les chevaliers de ce nouvel ordre allaient chacun de son côté à la recherche du Saint-Graal de la démocratie. On peut même dire qu’ils avaient leur roi Arthur dans l’île d’Elbe, endormi d’un sommeil beaucoup moins profond que l’autre. Cela est vrai du moins d’Hazlitt, qui regardait Napoléon comme l’ennemi le plus redoutable du droit divin, et qui de loin le chérissait, donnant un démenti à son discours sur les objets éloignés, mais confirmant par son propre exemple sa doctrine sur la puissance des sentimens.

Dans les deux ou trois années de colère et de représailles aveugles qui suivirent Waterloo, Hazlitt prit part à toutes les discussions qui passionnèrent l’Angleterre. Il n’est guère de questions ou d’hommes politiques du temps dont il n’ait parlé en vrai réformiste de l’avenir, ni whig, ni tory. Écrivain brillant, plein de traits et d’idées ingénieuses, mais dans un pays où la signature n’est encore aujourd’hui qu’à moitié entrée dans les mœurs, causeur vif et heureux à ses momens, mais privé du talent oratoire indispensable chez nos voisins à tout homme qui s’occupe de politique, il était encore peu connu. Sa grande réputation commença réellement avec ses leçons sur la littérature. On sait qu’en Angleterre les leçons publiques portent et méritent à tous égards le nom de lectures. L’orateur lit son cours pour la forme, car il le doit posséder par cœur ; par convenance, il regarde son papier plutôt que son écriture. L’auditoire est d’ailleurs fort difficile sur la façon de lire, et plus d’un