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paraîtra intéressant de comparer les uns et les autres. Je vous conseille de commencer par le Théâtre-Olympique et la Bella Union, deux salles que la bonne société ne fréquente guère et où les honnêtes femmes ne mettent jamais les pieds. Vous irez un autre soir à notre théâtre sérieux, le Californien, où l’on ne joue aujourd’hui que d’ennuyeuses pièces. » Je n’avais rien à objecter contre ce programme, et nous partîmes en nombreuse compagnie, composée presque exclusivement de nouveaux débarqués du Japan.

Dans les pays où les gouvernemens ont pris en main la défense de la morale publique, des théâtres comme l’Olympique et la Bella Union de San-Francisco ne pourraient s’ouvrir deux jours de suite. Les costumes des actrices, leurs façons d’être, les paroles des pièces qu’elles jouent, dépassent de beaucoup en licence tout ce que l’on voit et entend de plus risqué sur nos scènes inférieures. Le raisonnement des Américains sur ce sujet scabreux est très simple. « C’est un spectacle immoral, nous en convenons; mais c’est affaire aux gens moraux de n’y point venir, s’ils ne veulent pas être choqués. Quant aux habitués, ils n’ont pas grand’chose à y apprendre, et il faudrait des sujets plus révoltans pour froisser leur sensibilité. De tous les amusemens que San-Francisco offre aux hommes de cette classe, ces théâtres-là sont encore, et de beaucoup, les moins dangereux. »

Les « autres amusemens » auxquels mon ami faisait allusion sont ceux qu’on trouve dans les maisons de jeu et les cabarets. La seule mention particulière que méritent ces établissemens, c’est que le nombre, eu égard à la population de San-Francisco, en est excessif. Les tripots ont été fermés par la loi, mais ils continuent d’exister clandestinement. Ce n’est qu’en de rares occasions, lorsque le scandale est public, que la police intervient. Ces établissemens, dont le principal se trouve dans la grande rue même de Montgommery, ne sont aujourd’hui fréquentés que par des hommes qui n’ont pas de réputation à perdre. Les gentlemen désireux de risquer de l’argent sur une carte se réunissent chez eux ou dans les cabinets particuliers de quelque restaurant en vogue. On y joue, dit-on, fort gros jeu.

A propos des cabarets (public houses), notons en passant qu’ils ont des pratiques du matin au soir. A table, l’Américain se contente souvent d’eau ou de lait glacé. Certes, si on ne le voyait boire que là, on serait tenté de le proclamer l’homme le plus sobre du monde; mais entre les repas c’est tout autre chose. Avant ou après déjeuner, le matin ou le soir, tout prétexte lui est bon pour aller « prendre un drink. » La qualité de ces boissons varie beaucoup : ce sont des mélanges dans la composition desquels un nombre considérable de liqueurs et d’ingrédiens trouvent leur place. On les appelle un cock-