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Dans la première, il se déclare d’abord contre les maîtres de la philosophie anglaise. Des doctrines de Hobbes, dont il admire le vigoureux génie, il accepte celle de la nécessité plus ou moins conciliée avec le libre arbitre, et repousse le sensualisme, c’est-à-dire la théorie d’après laquelle toutes les idées, toutes les volontés, devenues passives, dériveraient simplement des sens. À Locke, chez lequel il ne trouve rien d’original, il oppose sur tous les points une négation absolue. Ce philosophe, à son avis, n’a fait qu’adoucir pour les esprits timides le matérialisme de Hobbes en inventant une prétendue faculté de réflexion qui n’est qu’un mot, puisqu’elle n’implique pas dans sa pensée une puissance d’agir, et qu’il en fait seulement une élaboration spontanée, mécanique, de la sensation. Il se sépare également de tous les deux en revendiquant pour l’âme humaine le principe d’activité, sans lequel il n’y a pas d’intelligence proprement dite ni de volonté. Il exprime non sans bonheur sa pensée en disant que, dans l’Essai sur l’entendement de Locke, ce qui manque est précisément l’entendement. La conséquence naturelle de ces principes, la plus importante à mettre en lumière dans une étude sur Hazlitt, c’est que l’âme n’est pas un simple organisme, un instrument monté par la nature pour vivre et se conserver suivant des lois auxquelles elle ne peut rien changer. Elle porte en soi un principe d’action ; elle a des volontés réelles, et elle le prouve en s’écartant de ce qui est conforme à sa conservation personnelle et à son intérêt, en le négligeant même pour l’intérêt d’autrui. Hazlitt, pour le moment du moins, ne va pas plus loin ; il lui suffit d’avoir trouvé une objection sérieuse à la morale de l’intérêt personnel, et cette puissance particulière de l’âme qui lui semble détruire la doctrine des matérialistes en morale, il l’appelle bienveillance, benevolence. Jusque-là rien d’original, rien qui puisse expliquer ni promettre les riches développemens des écrits du célèbre essayist. On devine aisément qu’il n’était ni avec Paley, ni avec Hartley. Le premier, par ses efforts pour concilier le système de Locke avec l’orthodoxie, avait pu conquérir l’autorité la plus considérable dans les universités d’Angleterre, mais non briser les liens qui l’enchaînaient à une doctrine sans élévation. Le second avait greffé sur le tronc vieilli de la philosophie nationale la théorie nouvelle de l’association des idées ; mais un ingénieux procédé de plus ne rendait pas la sève de l’arbre plus abondante. On s’étonne peut-être que le métaphysicien ne parle guère de ses devanciers écossais. Après ce que nous avons dit de sa discussion contre le lockisme, il est impossible de méconnaître qu’il avait bien quelque dette de ce côté ; mais les Anglais sont jaloux en métaphysique aussi bien qu’en littérature. Hazlitt est Anglais ; il combat des Anglais, et se garde bien de le faire avec des argumens venus d’Écosse. Il ne fait mention qu’une fois d’Hutche-