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riens, désirait faire de lui un ministre, comme il l’était lui-même. C’était une secte de chrétiens à peu près rationalistes qui se faisaient gloire de leur titre de rational dissenters, et croyaient très sincèrement en Dieu, seule personne divine, et en Jésus-Christ crucifié ; protestans rationnels, ils se persuadaient à peine, dit Hazlitt, que les autres fussent des êtres raisonnables. L’esprit de secte enseigne la proscription à ceux-là même qui en souffrent. Soit tendance au mécontentement, soit plutôt jugement réfléchi qui le porta toujours à se faire un parti à lui seul dans son parti, Hazlitt conçut de bonne heure une prévention contre cette petite église où l’on remerciait Dieu régulièrement d’avoir donné à ses élus une religion plus logique qu’au vulgaire des chrétiens. Plus tard, il devait également prendre en dégoût la philosophie positive du temps, dont l’édifiante habitude était de se féliciter dans tous ses discours de professer une doctrine plus éclairée que le commun des philosophes. Hazlitt resta simplement déiste en continuant de lire la Bible et respectant les croyances ; il refusa de se faire pasteur.

Sans avoir connu par expérience le puritanisme dans toute sa perfection, Hazlitt fut élevé dans le respect des vieux unitariens du XVIe siècle, qui s’interdisaient comme un manque de gravité, sinon comme un péché, une image de style, une saillie pour éveiller l’esprit, un mouvement pour saisir le cœur. Au milieu de ces in-folios pour lesquels son digne père s’était pris de passion dans une université d’Ecosse, une nostalgie du beau s’empara de cet enfant qui avait peut-être reçu le premier baiser paternel entre deux grands feuillets des Fratres Poloni. Il appelle ainsi une bien respectable collection où le nom le moins difficile à prononcer était celui de Pripscovius. Un génie follet s’était pourtant caché parmi ces redoutables dieux pénates de la maison ; c’était un exemplaire du Tatler de Steele, le modèle le plus parfait des essayists, parce qu’il a le charme de la grâce naturelle. La fée sans doute l’avait glissé là lors de la naissance du critique. Elle s’y prenait bien d’avance, et le germe jeté dans ce jeune esprit qui s’ignorait absolument ne devait fructifier qu’après trente-sept ans et plus.

L’instinct qui empêchait le fils du pasteur d’entrer dans les voies arides de l’unitarianisme l’appelait naturellement vers la littérature et les beaux-arts ; mais son choix n’était pas fait. Il hésita douze ou treize ans entre la plume et le pinceau, et quand il se décida pour la plume, il n’en fit pas encore l’usage qui devait assurer sa célébrité. Les travaux de critique et les essais qu’il a marqués d’une personnalité si riche et si forte sont des fruits lentement préparés qui, parvenus enfin à leur maturité, tombèrent sans effort et coup sur coup, comme d’un arbre chargé de sa récolte et secoué par le vent. Durant les longues années que se fit en lui cette sourde végé-