Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

derniers ne lui pardonnaient pas des mots amers sur leurs palinodies politiques ; il s’était même un jour égayé outre mesure à propos de leurs manies littéraires. Il avait le tort de se connaître et de montrer qu’il s’estimait assez haut. Comme il avait des systèmes sur toute chose, et qu’il ne prenait aucun soin d’en dissimuler la singularité, il était accusé de cultiver le paradoxe ; on attribuait ses propositions hardies au désir d’étonner. À ces singularités de l’esprit s’ajoutait une sensibilité quelquefois maladive. Sa vie privée, plus orageuse qu’irrégulière, fournissait des prétextes à ses ennemis, et il avait le malheur de se brouiller souvent avec ses amis.

Cependant il est peu d’écrivains qui aient moins écouté leur fantaisie personnelle. Quand il s’est trompé, — ce qui est rare, au moins dans les matières qui intéressaient le public, — il obéissait encore à des principes mal compris. Nul peut-être, dans une époque de débats passionnés, ne fut plus fidèle à ses convictions. Il resta toute sa vie un de ces enthousiastes de 1796 qui voulaient établir en Angleterre le règne des idées françaises. À travers les vicissitudes des trente premières années de notre siècle, il garda toujours quelques-unes des espérances de sa jeunesse. Il vécut dans l’attente de la réforme. Ce grand changement dont nous sommes témoins et que l’Angleterre a préparé non par la force, mais par les progrès successifs de l’opinion, tous les partis libéraux y ont travaillé, chacun à sa manière. Les dissidens religieux l’ont attendu comme une sorte de millenium politique ; ils fondaient le bonheur public sur l’abolition des privilèges du clergé. D’autres aspiraient à un âge d’or qui mettrait en honneur le travail et concilierait les citoyens en les gagnant par l’intérêt ; c’étaient les utilitaires. Ils ne doutaient pas qu’en appelant tous les hommes à la richesse la société absorberait l’aristocratie dans une vaste unité industrielle. Les carrières de l’intelligence avaient de même leurs radicaux, — avocats, savans, écrivains, poètes. Ceux-ci rêvaient aussi un eldorado politique et social : le clergé, l’aristocratie, étaient également à leurs yeux des obstacles à la prospérité commune ; mais le grand ennemi, le fléau public, ils le voyaient dans la royauté, telle qu’elle existait encore, avec des prérogatives qui tendaient à s’agrandir depuis George III et la prépondérance des tories. La perspective d’une république, si elle n’éclatait pas dans leurs discours, apparaissait du moins à leur imagination comme un mirage lointain. Hazlitt à l’âge de vingt ans faisait partie de ce bataillon sacré, soutenu par le talent et l’espérance, et il demeura jusqu’à la fin ce qu’il était à vingt ans. Cette persistance au milieu d’une réaction qui dura trente années, cette constance parmi les défections nombreuses, étaient un reproche vivant, une contradiction incessante, incommode, pour tous ceux qui avaient écouté les conseils de l’expérience ou la voix de l’intérêt. Comment