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ger, un portrait assez fidèle du parvenu californien. Ses qualités, très réelles cependant, n’excluent pas chez lui une immense et souvent puérile vanité qu’il se plaît à manifester surtout dans l’étalage d’un luxe de mauvais goût. Ainsi les bons tableaux sont beaucoup plus rares à San-Francisco qu’ils ne devraient l’être dans une ville aussi opulente ; quant à la bonne musique, elle en est tout à fait absente. L’école de Dusseldorf avec ses petits bonshommes, qui ressemblent à des photographies enluminées, est en possession d’approvisionner les galeries californiennes ; en musique, on donne volontiers la palme aux Italiens, et l’on ignore de parti-pris les grands maîtres allemands. L’éducation d’art d’un peuple est la plus longue à faire, et l’Amérique me paraît être encore bien arriérée sous ce rapport.

Ma promenade m’avait ramené aux environs de l’hôtel. En jetant un coup d’œil sur ma toilette, je m’aperçus que j’étais couvert de poussière. Le vent souffle à San-Francisco pendant la plus grande partie de l’année; la pluie y est rare, le sol est sablonneux. Il résulte de cet état atmosphérique des nuages de poussière pour ainsi dire en permanence. Les gens du pays y sont habitués; mais les étrangers n’en prennent pas aisément leur parti.

Quoique je vinsse de débarquer, j’avais appris déjà qu’il est inusité et inutile d’en appeler aux garçons de l’hôtel pour se faire servir autre chose qu’à manger et à boire. La réputation des hôtels américains a été surfaite. Ces hôtels sont vastes, mais c’est tout ce que l’on peut en dire. Ils ne sont pas, il s’en faut de beaucoup, aussi bien tenus que les hôtels européens, et l’on y est fort mal servi. On trouve de l’eau, et le soir le gaz allumé dans sa chambre; puis, à certaines heures de la journée, une servante irlandaise apparaît pour faire le lit. Tout le service d’intérieur se borne à ces légers soins. En dehors de cela, il ne faut rien demander aux gens de l’hôtel, qui font la sourde oreille aux coups de sonnette. Ils arrivent quelquefois pour prendre les ordres et se retirent sans les exécuter. Les réclamations au bureau n’ont pas d’effet durable, et le plus simple est encore de ne pas exiger d’être mieux servi que le voisin. Les habitués s’arrangent de manière à n’avoir rien à demander, ou bien ils gagnent à force de pourboires la faveur spéciale d’un domestique qui à cette condition consent à s’occuper d’eux.

La vie d’hôtel est d’un bon marché relatif en comparaison des prix exorbitans auxquels s’élèvent les moindres objets en Amérique. On paie à San-Francisco 3 dollars (environ 15 francs) par jour, et pour ce prix l’on est petitement logé et convenablement nourri. Les boissons se comptent à part : une bouteille de vin ordinaire coûte de 5 à 10 francs, une bouteille de vin de Champagne 25 francs, une bou-