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dessus de la mer on voit la vigne courir d’arbre en arbre et former ces hautains pittoresques que connaissaient déjà les Romains. Au-dessus de cette région des cultures est celle des forêts, qui s’élève jusqu’à 1,300 mètres environ, hauteur où commence celle des pâturages et des neiges.

Dans les parties inférieures et aux expositions méridionales, les forêts sont des taillis de chênes, de hêtres et de charmes; mais à une altitude plus élevée elles se peuplent d’épicéas et de mélèzes. Cette zone forestière est de beaucoup la plus importante, moins à cause des produits qu’elle fournit que par la protection qu’elle exerce sur la région cultivable. Le sol tantôt schisteux, tantôt formé de poudingues, est extrêmement friable. Il se délite sous l’action des pluies d’orage, se creuse, se ravine, et donne naissance à des torrens qui charrient des galets jusqu’au fond de la vallée, et recouvrent les plaines de cailloux stériles. La présence des forêts dans ces régions est une précieuse sauvegarde; elle maintient les terres sur les pentes, permet aux eaux de s’y infiltrer et de s’écouler lentement en fertilisant la contrée au lieu de la dévaster. Partout où elles ont disparu, on voit d’abord des ravins se former, comme des rides, sur les flancs de la montagne ; bientôt après se montre le roc nu, dont les débris ressemblent de loin à un amas de vieilles ruines.

La conservation des forêts est pour ces contrées une question de vie ou de mort, et exige dans les exploitations la plus grande circonspection. Afin de ne pas s’exposer à découvrir le sol ou à trop espacer les arbres, qui pourraient alors être renversés par le vent, on doit éviter de concentrer les exploitations sur un même point et s’en tenir à la méthode du jardinage, qui consiste à abattre çà et là, au milieu des massifs, les arbres arrivés à maturité. Pour plus de sécurité, il convient même de ne les couper qu’à un mètre du sol, afin que les racines, restant en terre, continuent leur office de protection jusqu’à ce que de nouveaux sujets aient remplacé les anciens. Un peu abandonnées sous le régime piémontais aux dévastations des habitans et aux abus du pâturage, les forêts ont depuis l’annexion été l’objet de soins plus intelligens. La loi sur le reboisement sera notamment une de celles dont la postérité saura le plus de gré au gouvernement français.

Au-dessus de la région des forêts commence celle des pâturages. Le climat y est trop rude pour la végétation arborescente; mais le gazon y croît avec abondance, précieuse ressource pour les troupeaux de vaches et de moutons qui chaque printemps quittent les vallées pour passer l’été sur ces hauts plateaux. Les cimes sont généralement dentelées, et, vues de face, elles présentent l’aspect d’un mur à pic continu; on voit que les couches auxquelles elles appar-