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Si les Alpes n’ont guère empêché les armées de passer et les peuples de se battre, du moins ont-elles toujours été pour les relations commerciales un obstacle des plus sérieux. Jusqu’au commencement de ce siècle, il n’existait encore dans ces montagnes aucune route carrossable, et c’était à dos de mulet qu’on les traversait. Ce fut Napoléon qui, en 1801, fit ouvrir la première, celle du Simplon, pour laquelle il dépensa 18 millions et employa 6,000 ouvriers. Aujourd’hui même, pour se rendre de Suisse ou de France en Italie, il n’y a encore que sept routes dignes de ce nom : celle du Simplon, terminée en 1823, qui unit la vallée du Rhin au lac de Côme; celle du Bernardin, construite en 1822 entre la vallée du Rhin et le lac Majeur; celle du Saint-Gothard, construite de 1820 à 1832, entre les lacs des Quatre-Cantons et Majeur; celle du Simplon, qui suit les rives du lac de Genève et la vallée du Rhône, et vient également aboutir par Domo d’Ossola au lac Majeur; celle du Petit-Saint-Bernard, entre la vallée de l’Isère et la vallée d’Aoste; celle du Mont- Cenis, entre la vallée de l’Arc et Suse; enfin la route de la Corniche, qui suit le bord de la mer. De ces différens passages, le plus curieux, en raison des travaux qu’on y exécute et des essais divers qui y ont été tentés, est celui du Mont-Cenis.


I.

La route actuelle du Mont-Cenis, comme celle du Simplon, a été ouverte par les ordres de Napoléon; elle a été construite de 1805 à 1810 par le chevalier Fabioni, et a coûté 7,500,000 francs. Partant de Chambéry, elle suit pendant quelque temps la vallée de l’Isère, qu’elle abandonne bientôt pour celle de l’Arc, un des affluens de cette rivière, et dont le lit torrentueux est encombré de galets. Les sites ont le caractère de sauvage grandeur que présentent toutes les montagnes savoisiennes. Ces montagnes, dont l’existence est relativement récente, sont formées des couches les plus diverses, car le soulèvement qui les a produites est postérieur aux dépôts du terrain tertiaire, et a mis au jour des affleuremens de tous les étages inférieurs. Toutefois les couches qui dominent dans cette partie de la Savoie, qu’on appelle la Maurienne, sont les schistes des terrains anthracifères et les poudingues, roches formées de cailloux agglomérés qui se désagrègent par l’action des eaux. Le fond des vallées, couvert des débris des montagnes, est généralement fertile, et, comme il est abrité contre les vents froids par les hauteurs voisines, il jouit d’une température des plus favorables. C’est la région des céréales et des prairies, et jusqu’à une hauteur de 900 mètres au--