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cultivateur de la Crau, dans une propriété gravement atteinte, la commission de la Société des agriculteurs de France remarqua un pied de vigne isolé au milieu d’un terrain vacant souvent submergé par les eaux ; ce cep était très vigoureux et ne portait aucune trace ni de maladie ni de pucerons. Ailleurs, au mas de Fabre, près de l’étang de Berre (Bouches-du-Rhône), la même commission vit une vigne de 8 hectares fort compromise à ses extrémités, mais qui contenait dans sa partie centrale un demi-hectare environ complètement préservé des atteintes de la maladie. Cette zone favorisée, qui était plantée de grenache, le plus maltraité des cépages, consistait en une bande de terrain sablonneux et assez fortement salé pour que le sol y fît parfois efflorescence. Y avait-il là une indication des bons effets que l’on pourrait attendre de l’emploi des engrais alcalins sulfatisés que fournit l’étang de Berre ? c’est ce qu’a pensé le propriétaire de la vigne, M. Faucon, qui s’est empressé de les employer à haute dose, et qui a publié à ce propos un très bon mémoire. En outre, il a soumis les souches à un régime d’abondantes irrigations, 50 et même 100 litres d’eau par souche, 250 à 500 mètres cubes d’eau par hectare. Or ces arrosages répétés et poussés jusqu’à la complète inondation lui ont fait obtenir des résultats inespérés. Est-ce à la qualité de l’eau, est-ce simplement à l’eau même que l’on doit les attribuer ? M. Faucon a-t-il empoisonné ou noyé le phylloxéra ? Nous pencherions pour la dernière hypothèse, que semble confirmer l’observation du cep submergé de la Crau.

Tel est l’état des choses. Quelques personnes se flattent de l’espoir que le puceron disparaîtra un jour aussi inopinément qu’il est venu ; mais il faut avouer que ce que l’on voit aujourd’hui n’encourage pas à partager cette opinion, et que ce n’est pas de ce côté que sont les probabilités. En présence d’un mal qui, loin de se lasser, redouble et s’étend chaque jour davantage, on ne saurait se reposer sur le hasard ou sur la Providence du soin de chercher le remède. D’ailleurs les conséquences actuelles du fléau ne privent pas seulement l’agriculture des revenus d’une saison, comme il arrive si quelque accident vient à détruire les récoltes de froment ou de betteraves ; à supposer qu’on ait maintenant le courage de planter à nouveau les vignobles perdus, il faudra que plusieurs années s’écoulent avant que ces jeunes plants, fussent-ils épargnés par le puceron, donnent des raisins. Le mal est maintenant étudié, ses causes sont connues. Ce n’est pas à dire pour cela que la guérison en soit assurée ; mais il est probable que l’on unira par découvrir un remède. Qu’on ne se décourage donc pas ; attendons beaucoup du concert de la science et de la pratique. Si l’on n’a pas vaincu l’oïdium avec le soufrage, on en a su du moins diminuer et circonscrire les effets ; pourquoi ne trouverait-on pas un préservatif qui serait au phylloxéra de la vigne ce que le soufrage a été pour l’oïdium ?


EUG. LIEBERT.