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groupes disséminés composés de mères qui pondent, de jeunes qui s’agitent, d’œufs qui vont éclore. Sur les radicelles tendres et fines, ces groupes sont souvent si nombreux qu’ils se touchent. Enfin chaque individu isolé deviendra promptement l’auteur d’une famille plus nombreuse que ne le furent jamais celles des patriarches. Quand le cep est bien mort et que la racine est pourrie, il n’y faut plus chercher de pucerons ; ils sont morts ou ont émigré, ne trouvant plus leur nourriture, et les jeunes sont allés fonder d’autres colonies sur les racines les plus prochaines. C’est toujours par le chevelu que la pourriture commence ; elle envahit ensuite les grosses racines et remonte jusqu’au tronc. Graduellement le feuillage passe du vert au jaune terreux ; la chute des feuilles est le signe de la mort. Dans un champ, le mal se propage de deux manières, à distance et de proche en proche. Le vigneron regarde avec stupeur le progrès incessant de chaque tache d’huile. On dirait des plaies qui se rapprochent et finissent par se confondre.

Depuis un an, mille moyens de destruction, mille remèdes, ont été essayés, prônés, rejetés tour à tour. On n’en a pas trouvé qui fussent réellement efficaces. La grande difficulté, c’est qu’il s’agit d’aller chercher sous terre un ennemi qui s’y dérobe, qu’on rencontre le plus souvent à 50 et 60 centimètres de profondeur, qu’on a même vu cette année par exception enterré à 1m75 dans le sol. Quantité de substances peuvent faire mourir le puceron ; mais ce n’est pas assez de les choisir, il faut les faire pénétrer jusqu’à lui à travers la terre, c’est-à-dire à travers un filtre qui retient ou qui décompose la plupart des matières que l’eau n’a pas parfaitement dissoutes. Les tourteaux de colza, le purin et divers engrais qui enrichissent le sol tout en le débarrassant de beaucoup d’insectes, n’ont donné ici aucun résultat. Il en a été de même de la chaux caustique, du plâtre, des eaux ammoniacales, du gaz, de l’acide arsénieux, du soufre, de différens composés dans lesquels on a mélangé la plupart de ces substances. Avec l’huile de pétrole et l’acide phénique, qui d’ailleurs coûtent cher, on n’a pas été plus heureux. Enfin le sulfure de carbone, employé à dose médiocre, reste sans effet ; à forte dose, il tue le puceron et la vigne. M. Gaston Bazille se propose, nous dit-on, pour tourner la difficulté, de greffer des vignes sur des arbrisseaux de la même famille, le Cissas orientalis, ou la vigne vierge, dont les racines échapperaient probablement aux ravages du phylloxéra ; mais, sans compter que le succès n’est pas assuré, ce ne sera jamais là qu’une expérience d’amateur ou de savant. Également on a remarqué que le puceron épargne à peu près deux cépages, l’espagnin, assez bon raisin noir de table, et le colombeau, raisin blanc fort peu estimé ; est-ce à dire qu’il faille planter à nouveau tous les vignobles d’espagnin et de colombeau ? Personne ne le prétend, et l’on continue à chercher, quoique l’espoir se lasse un peu.

Cependant deux faits isolés sembleraient indiquer des moyens de préservation qui n’ont pas été essayés suffisamment, mais qui du reste ne sauraient s’appliquer partout. Il s’agit de l’irrigation, ou, pour mieux dire, de la submersion complète des champs de vignes. Chez un