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Grâce aux minutieuses études de MM. Planchon et Lichtenstein, nous avons quelques notions sur la vie et les mœurs de l’imperceptible ennemi de la vigne. Le phylloxéra vastatrix appartient à l’ordre des hémiptères, et doit être classé dans le sous-ordre des homoptères, dont les principaux représentans sont les cigales, les pucerons et les cochenilles. La petite famille des phylloxérées formerait à peu près la transition entre les aphidiens (pucerons) et les coccidées (cochenilles). Le mâle du phylloxéra reste inconnu, et l’observation n’a fait encore découvrir que des individus femelles, dont les uns sont aptères et les autres ailés. Sous sa forme aptère, le phylloxéra mène une vie tantôt souterraine, tantôt aérienne, s’attachant le plus souvent aux racines, quelquefois aux troncs ou aux rameaux, et s’enfonçant parfois aussi dans les galles bursiformes des feuilles. Toujours il est ovipare, et il produit chaque année plusieurs générations successives. Nous avons sous les yeux quelques gravures tout récemment exécutées sous la direction de M. Planchon ; autant qu’il nous est permis d’en juger, le phylloxéra de la vigne présente, en beaucoup plus petit, des caractères analogues à ceux qu’on remarque chez les différentes espèces de pucerons de nos jardins. Dans les groupes que forment ceux-ci sur les tiges des plantes, on distingue également quelques individus ailés, sortes de petites mouches plus fines, qui se mêlent aux nombreux troupeaux des aptères.

Aux premiers jours de printemps commence la ponte ; elle dure jusqu’à l’approche de l’hiver. Les œufs sont de petits ellipsoïdes allongés, mesurant en longueur 32 centièmes de millimètre sur 17 centièmes de millimètre de diamètre transversal. Une femelle aptère, gardée avec plusieurs autres dans un flacon et tenue dans une chambre non chauffée, avait déjà pondu deux œufs le 15 février, et le 26 novembre est la date la plus tardive où l’on ait noté une ponte dans de semblables conditions. Chez la même pondeuse, les œufs se succèdent ordinairement de deux en deux jours. M. Planchon estime à un mois en moyenne le temps qu’il faut à chaque génération pour être pondue, éclore, muer trois ou quatre fois et commencer une génération nouvelle. Il y aurait donc au moins, de mars à novembre, huit générations par année issues de la même femelle. On doit tenir compte d’ailleurs de l’influence de la nourriture, de la saison sur l’existence et sur la fécondité de l’insecte. La différence est grande entre les individus qui se sont appliqués à des racines succulentes, et ceux que leur mauvaise fortune a attachés à des racines affaiblies déjà ou gagnées par la pourriture. Dans les circonstances les plus favorables, le maximum de ponte a été de trente œufs sortis d’une femelle entre le 15 et le 24 août. « En prenant approximativement, dit M. Planchon, le chiffre 20 comme une moyenne raisonnable quant au nombre d’œufs, et le chiffre 8 comme celui des pontes possibles, entre le 15 mars et le 15 octobre, on trouverait par le calcul cette progression effrayante du nombre croissant des œufs issus d’une seule femelle : en mars, 20 ; en avril, 400 ; en mai, 8,000 ; en juin, 160,000 ; en juillet, 3,200,000 ; en août, 64,000,000 ; en septembre, 1,280,000,000 ; en octobre, 25,600,000,000 ; c’est-à-dire, en définitive,