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cle pour défendre son existence menacée, la société moderne les emploiera, sous des formes plus expéditives et moins cruelles, mais non moins terribles. Si les vieilles dynasties y sont impuissantes, ou si, comme il est probable, elles refusent le pouvoir dans des conditions indignes d’elles, on recourra aux paciers et aux podestats de l’Italie du moyen âge, que l’on chargera à forfait, et sur un sanglant programme réglé d’avance, de rétablir les conditions de la vie. Des dictateurs d’aventure analogues aux généraux de l’Amérique espagnole se chargeront seuls d’une telle besogne. Comme nos races cependant ont un fonds de fidélité dont elles ne se départent pas, comme d’ailleurs il restera longtemps des survivans des anciennes dynasties, il y aura probablement des retours de légitimité après chaque cruelle dictature. Plus d’une fois encore on suppliera les vieux détenteurs traditionnels de rôles nationaux de reprendre leur tâche et de rendre à tout prix aux pays qui contractèrent jadis avec leurs ancêtres un peu de paix, de bonne foi et d’honneur. Peut-être se feront-ils prier et mettront-ils à leur acceptation des clauses qu’on ne marchandera pas. En présence de certains faits comme ceux qui se sont passés récemment en Grèce, au Mexique, en Espagne, le parti démocratique dit parfois avec un sourire : « On ne trouve plus de rois. » En effet, nous verrons un temps où la royauté dépréciée n’aura plus assez d’attraits pour tenter les princes capables et se respectant eux-mêmes. Dieu veuille qu’un jour, pour avoir trop fait fi des libertés octroyées, on ne soit pas amené à prier les souverains de les réserver toutes, ou de n’en délier le faisceau que lentement, par des concessions et des chartes personnelles, locales, momentanées.

Un retour des barbares, c’est-à-dire un nouveau triomphe des parties moins conscientes et moins civilisées de l’humanité sur les parties plus conscientes et plus civilisées, paraît au premier coup d’œil impossible. Entendons-nous bien à cet égard. Il existe encore dans le monde un réservoir de forces barbares, placées presque toutes sous la main de la Russie. Tant que les nations civilisées conserveront leur forte organisation, le rôle de cette barbarie est à peu près réduit à néant; mais certainement, si (ce qu’à Dieu ne plaise!) la lèpre de l’égoïsme et de l’anarchie faisait périr nos états occidentaux, la barbarie retrouverait sa fonction, qui est de relever la virilité dans les civilisations corrompues, d’opérer un retour vivifiant d’instinct quand la réflexion a supprimé la subordination, de montrer que se faire tuer volontiers par fidélité pour un chef (chose que le démocrate tient pour basse et insensée) est ce qui rend fort et fait posséder la terre. Il ne faut pas se dissimuler en effet que le dernier terme des théories démocratiques socialistes serait