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longue halte au XVIIe siècle, le siècle de Descartes, de Galilée, de Pascal et de Locke ? Non ; quelques détails intéressans sur le célèbre frère morave Coménius, un développement sur le jansénisme et sur l’énorme extension prise par l’enseignement des jésuites, remplissent, ou peu s’en faut, un nouveau chapitre. — Mais les fils de ce même Rabelais dont nous parlions tout à l’heure n’ont-ils donc pas, au XVIIe siècle, continué à leur manière la haute tâche d’éducation du chantre de Pantagruel ? Quoi ! Molière, ce grand rieur mélancolique, n’obtiendra en tout qu’une simple ligne pour mention, et Locke à peine une épithète ! Cela est dur à penser. Je serais pourtant curieux de savoir quel pas a fait l’éducation, puisque c’est le sujet du livre, depuis le temps où Panurge montait à l’assaut sur la colline de Lutèce. Je ne nie pas l’immense attrait de ce grand siècle, le XVIIIe, qui nous appelle, et où dans un instant nous allons entrer : je l’entends avec plaisir s’agiter d’ici dans sa noble et généreuse fièvre d’action et de liberté ; mais je l’aborderais mieux préparé, ce me semble, si vous me disiez tout d’abord où en sont, au commencement du siècle, ces trois grands ordres du royaume qui auront tant de peine à se fondre. L’état du clergé est très prospère ; nulle part ailleurs en Europe la vie n’est plus douce et plus clémente pour les hommes d’église, et c’est de ce temps assurément que date ce dicton allemand si expressif dans sa concision : Vivre comme Dieu en France. La noblesse a encore l’éclat du rang et de la considération ; mais chaque jour elle s’appauvrit et s’isole, nul autre principe que l’idée de caste ne préside à son éducation. En se tenant à l’écart dans son ignorance, elle a manqué tous les profits de cette forte et pratique instruction que l’exercice intelligent des offices de finance et de judicature, l’expérience du commerce et de l’industrie, ont valus aux enfans des bourgeois, aux fils de savetiers et de cordonniers, comme disait dédaigneusement un orateur de la noblesse aux états-généraux de 1614. La noblesse, si bien prête pour l’action, lorsque l’action se réduisait aux tournois, aux combats, aux grandes chevauchées guerrières, se trouve tout à coup paralysée dès qu’agir signifie travailler de la tête et de la volonté, produire et innover dans le monde physique et moral, car tous les génies éducateurs du XVIIIe siècle, Voltaire, Vico, Foe, Jean-Jacques Rousseau, prêchent le mouvement, la liberté, la vie féconde et active. La puissance du mot nature avait éclaté au XVIe siècle avec Rabelais ; au XVIIIe, avec les maîtres dont nous parlons, un autre mot éclate partout, s’associant à celui de nature, c’est philanthropie. Les pages les plus éloquentes du livre de M. Michelet sont, sans contredit, celles qu’il consacre à l’œuvre touchante de Pestalozzi, le père de cette pédagogie qui règle le développement des facultés intellectuelles de l’enfant suivant la marche progressive de la nature. Le bon forestier allemand Frœbel, le « bâtisseur d’hommes, » n’inspire pas moins heureusement l’auteur