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une certaine influence, et je suis prêt à reconnaître qu’à M. Augier revient l’honneur d’avoir enjolivé la peinture du laid et étouffé sur certains points les scrupules de la pudeur publique.

Ce n’est cependant point pour avoir forcé les couleurs de ses peintures que M. Augier s’est préparé à lui-même la mésaventure que la première représentation de Lions et Renards lui a value ; c’est plutôt pour s’être trop confié à sa vigueur et pour avoir voulu s’élever à des sommets où son coup d’aile n’était point fait pour le porter. Il y a quelques années, M. Augier en était arrivé à cet instant délicat de la carrière d’un homme de lettres où sa réputation doit inévitablement baisser, si son talent ne grandit pas. Exalté peut-être par le succès, il s’est pris de dédain pour les peintures légères de la vie mondaine, et il a tenté d’aborder les régions ardues de la comédie sociale et politique. Avec les opinions bien connues de M. Augier et ses augustes relations, l’entreprise ne laissait pas que d’être d’une réalisation assez difficile. C’est en général aux dépens des puissans du jour que s’égaie la comédie, et ce n’est guère sur les vaincus que s’exerce la satire. Il s’en fallait d’un autre côté que ces relations auxquelles je faisais allusion tout à l’heure fussent un titre à la faveur du public. L’opinion commençait à se montrer peu bienveillante pour les poètes trop bien en cour, et la rude leçon que venait de recevoir l’auteur de Gaëtana avait dû inspirer à M. Augier des inquiétudes personnelles. Fort heureusement pour lui les anciens partis et les cléricaux étaient sous sa main. Il les immola sans scrupule sur l’autel de la popularité. En France, le moyen est infaillible, et il a été employé avec succès par un grand critique que l’intolérance des étudians avait banni du collège de France et que leurs applaudissemens ont accompagné ensuite jusqu’à la porte du sénat. L’entreprise parut au premier abord avoir un plein succès. On se souvient de la faveur bruyante avec laquelle furent accueillis les Effrontés et surtout le Fils de Giboyer. Il faut convenir qu’il y avait beaucoup de vigueur dans la conception et de vérité dans la peinture de ce Giboyer, resté comme la personnification triste et vraie de l’expérience malsaine et du talent dévoyé. — Mais le tort réel de M. Augier a été de s’imaginer qu’il avait mis la main sur une mine inépuisable de succès, et que, pour se faire pardonner la part qu’il a prise aux festins des dieux, il lui suffirait toujours de livrer les cléricaux en pâture à son public. Cette fois, il croyait bien lui avoir servi un friand morceau. Ce n’était rien moins que les jésuites eux-mêmes. Eh bien ! chose étrange, le public n’a point voulu y mordre. Que voulez-vous ? les jésuites sont si habiles ; on a craint peut-être qu’ils n’eussent empoisonné les plats.

Voyons cependant, une fois ce grand ressort mis en jeu, quels effets M. Augier a su en tirer. Quand on évêque le souvenir des Loyola et des Ricci, quand on annonce l’intention de dévoiler au monde l’astuce profonde de la société de Jésus, encore faut-il qu’il ne s’agisse point d’un