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s’agit de flétrir le caractère d’une personne haut placée, traita lady Mary de femme sans foi et de mère dénaturée. On lui reprochait de risquer la vie de ses enfans pour assurer le triomphe de son œuvre, de contrecarrer la volonté divine en essayant de prévenir les effets de la maladie. Elle ne se découragea point, demanda l’appui du gouvernement, qui ordonna une enquête. À ce moment, lady Mary faisait justement vacciner son dernier enfant, une petite fille née pendant son séjour à Constantinople. Quatre médecins des plus célèbres furent désignés pour assister à l’opération et surveiller la marche de la fièvre. La tâche était facile ; néanmoins ils s’en acquittèrent de si mauvaise grâce, que lady Mary, sérieusement alarmée, les crut capables d’une action malhonnête et même criminelle. Elle ne quitta point le chevet de sa fille. L’entier succès de cette inoculation, aidé de l’appui de la princesse de Galles, triompha enfin des préjugés vulgaires. Lady Mary n’en demeura pas moins, aux yeux du plus grand nombre, une personne entêtée et ambitieuse.

La passion de briller lui faisait commettre mille imprudences graves. J’ai parlé de ses démêlés avec Pope, qu’elle traita d’abord en ami, et puis moins bien qu’un domestique. Il faut prendre garde de prodiguer ses sourires, si l’on veut garder une réputation intacte. « Les moineaux, dit le proverbe, ne viennent qu’à l’endroit où il y a du blé. » Lady Mary, malgré beaucoup d’habileté, manquait parfois de tact. Elle encourageait les prétentions galantes, et les repoussait ensuite avec une dureté incroyable. Naturellement les adorateurs dédaignés devenaient des ennemis et lui faisaient payer ses coquetteries par des affronts. Le plus odieux comme le plus amer de tous fut celui que lui infligea un Français nommé Raymond. Ce Raymond imagina d’entamer avec elle une correspondance sentimentale pour pouvoir vivre à ses dépens. Elle cessa d’écrire lorsqu’elle s’aperçut que cet adorateur tirait sur elle des lettres de change ; mais il était trop tard, et l’adroit escroc, se prévalant de quelques expressions peut-être un peu familières et sans doute arrachées par la pitié, eut l’infamie de menacer sa bienfaitrice. Il exigeait une somme énorme en retour de quelques lettres où il était question d’un tripotage financier. Lady Mary, malgré la défense expresse de son mari, avait trempé dans une spéculation assez analogue à celle qui, sous la régence du duc d’Orléans, fit la fortune, puis la perte de l’Écossais Law. Raymond, gentilhomme ruiné et bel esprit de rencontre, l’avait suppliée de recevoir en dépôt quelques milliers de livres qu’il la priait de faire valoir à sa guise. Il voulait, disait-il, tenir la fortune de ses mains ou tout perdre. Lady Mary, poussée par un élan romanesque, s’était laissé gagner par la perspective de faire un heureux. Elle paya cher son imprudence. Non-seulement les fonds étaient perdus, mais le créancier, sous peine de tout