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lui pardonnait point de mêler des épigrammes à ses louanges. Il l’accueillit avec une froideur marquée, et son attitude respectueuse, mais réservée, pouvait dès ce moment faire prévoir une brouille.

On ne l’aimait pas beaucoup, et on ne la respectait guère. Elle faisait partie du cercle habituel de la reine ; un soir, une invitation particulière l’obligea de se retirer plus tôt que de coutume. Craggs, le secrétaire d’état, la rencontra sur l’escalier, et lui demanda pourquoi elle partait. Elle répondit qu’elle était invitée ailleurs, qu’elle regrettait de n’avoir pu céder aux instances du roi. Le malicieux secrétaire, sous prétexte de faire sa cour, s’empara de la fuyarde, et, la prenant dans ses bras, la porta tout d’un trait jusqu’à l’entrée du salon royal. Craggs fit un signe à l’huissier de service, et les portes s’ouvrirent. Le roi avait eu le temps d’apercevoir le secrétaire muni de son fardeau. « Est-ce l’usage en ce pays, s’écria le monarque, de porter les belles dames comme un sac de blé ? » En courtisan consommé, Craggs baissa la tête et répondit que rien ne lui coûtait pour plaire au roi. Le monarque demanda des explications, et l’on devine quelle figure ce soir-là fit la belle dame. — Lady Mary, blessée par l’attitude sèche et parfois niaise des personnes correctes, devenait de plus en plus incapable de réprimer un mot dur. Sa verve ironique s’attaquait surtout aux ridicules féminins et à cette soif d’hommages qui survit chez la plupart des femmes à l’âge et aux moyens de plaire. Une dame, affligée de cette vanité, essayait un jour de se rajeunir en affectant de petits airs enfantins. Lady Mary, ennuyée de ce manège, coupa court à de sottes questions par des réponses mordantes. La dame, déjà irritée, prit mal la chose et répondit que certes elle ne prétendait point rivaliser d’esprit avec une personne aussi parfaite. Le mot déplut à lady Mary ; elle résolut de châtier l’imprudente en la blessant à l’endroit le plus sensible. « Voyons, ne nous fâchons pas, » lui dit-elle ; puis, de l’air patelin d’une chatte qui s’apprête à égratigner : « D’ailleurs nous sommes à peu de chose près du même avis. Je trouve, comme vous, fort bon d’en rester toujours à ses quinze ans ; mais je ne vois pas la nécessité d’en paraître cinq. » De telles saillies lui valaient des ennemis mortels ; sa haine contre la routine et l’ardeur avec laquelle on la voyait lutter contre les préjugés lui en attiraient d’autres. L’introduction de la vaccine, on le sait, fut son œuvre. L’expérience personnelle lui avait prouvé l’utilité de cette opération, pratiquée par les Orientaux et encore inconnue en Europe. Elle n’hésita point à y soumettre ses enfans, et s’efforça d’en répandre l’usage en Angleterre. Elle fut payée d’ingratitude. Les médecins prononcèrent le mot de charlatanisme ; le clergé déclara du haut de la chaire que, la petite vérole ayant été infligée aux hommes en guise de châtiment, c’était une impiété que d’en arrêter le cours ; le peuple, toujours docile quand il