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attitudes les plus provoquantes, les mieux faites pour démasquer une prude. La danse achevée, la porte s’ouvrit, et quatre belles esclaves blondes entrèrent en agitant des encensoirs d’argent, d’où s’échappaient des parfums d’ambre et d’aloès. Cela fait, elles s’agenouillèrent pour servir le café, qu’elles versèrent dans de petites tasses de porcelaine du Japon posées sur des soucoupes de vermeil, La charmante Fatime durant ce temps prenait soin de m’entretenir de la façon la plus polie comme la plus agréable, m’appelant « belle sultane » et regrettant de ne pouvoir causer avec moi qu’à l’aide d’un truchement. Comme je m’apprêtais à prendre congé, deux esclaves apportèrent une élégante corbeille en filigrane d’argent remplie de riches mouchoirs brodés. Elle me pria d’accepter le plus beau, et offrit les deux autres à mon interprète et à ma suivante. »


L’élégance de l’ajustement et le luxe de l’entourage comptent, pour la plupart des femmes, parmi les conditions principales du bonheur. Lady Mary, dont l’opulente et voluptueuse beauté rappelait celle des femmes géorgiennes, se familiarisait d’autant mieux avec les mœurs turques qu’elle s’était fait faire un costume à peu près semblable à celui de la belle Fatime. Passons sur des remarques qui tournent souvent à l’avantage de la civilisation turque, et par là même peuvent sembler un peu paradoxales. Elle a raison, si le rôle des femmes dans la vie consiste uniquement à paraître belles ; elle se trompe, si, prenant exemple sur quelques-unes de ses pareilles, elle le fait consister dans l’accomplissement d’un devoir. Au surplus, toute civilisation répond aux besoins du pays qui l’a produite. Lady Mary ne se montrait pas insensible aux bienfaits de la nôtre ; la lourde émanation des parfums asiatiques ne parvenait pas longtemps à endormir sa vivacité naturelle, et une de ses lettres au poète Pope ne dénote en rien la vie oisive et les allures indolentes d’une musulmane.


« Les chaleurs m’ont fait fuir Constantinople et conduite en ce lieu retiré, dont l’aspect répond à l’idée que nous nous faisons des champs élyséens. Ma maison s’élève au milieu d’un bois, ou plutôt au milieu d’une vaste forêt d’arbres fruitiers dont le feuillage projette une ombre épaisse. De nombreuses allées, de petites rivières remplies d’une eau limpide, tracent partout leurs sinuosités à travers la verdure. Le gazon qui tapisse le sol est si beau qu’on le croirait semé par la main du jardinier, et le regard aime à s’égarer entre les profondeurs du feuillage, traversées par les lumineux scintillemens du Bosphore. Quelques riches familles chrétiennes habitent seules cette solitude, et viennent tous les soirs se réunir au bord d’une source voisine. Les jeunes gens dansent et jouent du luth. Les femmes, presque toutes grecques, sont belles, et leurs tuniques blanches font songer aux charmantes divinités d’Homère.