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VIE ET LETTRES
DE
LADY MARY WORTLEY MONTAGU

Lady Mary Wortley Montagu est une grande dame anglaise du XVIIIe siècle, aussi célèbre en Angleterre par sa correspondance que Mme de Sévigné l’est en France par la sienne. Son style est un modèle d’anglais classique ; elle a vécu familièrement avec les hommes d’état et les écrivains les plus distingués de son temps, échangé des lettres avec Pope, lord Hervey, le poète Young. Elle a voyagé, pensé ; elle a eu des opinions politiques et philosophiques. Enfin, circonstance remarquable chez une femme, elle a montré de l’impartialité dans ses jugemens et de la modération dans ses vues. D’autre part, elle a introduit la vaccine en Angleterre, et mérite jusqu’à un certain degré la reconnaissance nationale. Voilà bien des titres à l’attention ; elle en a encore d’autres pour les Français : c’est une Anglaise, un type de femme singulier et nouveau pour nous. La sagesse et l’esprit de Mme de Sévigné sont d’une mère ; la sagesse et l’esprit de lady Mary Wortley sont d’une grande dame du XVIIIe siècle. Sa morale est moins saine que celle de Mme de Sévigné, et sa philosophie, souvent empreinte de scepticisme, se borne à estimer les biens positifs et à fuir les maux imaginaires. « Tout le secret du bonheur, disait-elle, consiste à porter de préférence nos regards sur ce que notre situation peut offrir d’avantageux. » Elle se proposa de vérifier la justesse de cet axiome ; mais l’épreuve ne répondit point à son attente, et lui montra l’insuffisance d’une sagesse qui repose principalement sur l’égoïsme, et confond le repos avec l’indifférence.