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où l’on croirait pouvoir affirmer qu’il n’y a pas d’autre mode d’existence que la pensée, ce qui nous paraît un postulat absolument arbitraire.

Dans cette explication de là réalité du monde extérieur, nous avons fait entièrement abstraction de la question de la réalité de l’étendue. Cette question est à elle seule un problème considérable que nous n’avons pas entendu aborder ; mais, de quelque manière qu’on la résolve, la déduction précédente demeure toujours inattaquable. Si l’on admet avec les Écossais et M. Hamilton que l’étendue est l’objet d’une perception directe, c’est qu’elle est objective, et cette opinion vient confirmer a fortiori la thèse de l’existence de la matière. Si l’on admet avec Kant que l’étendue est une forme subjective de l’esprit, la matière considérée comme force capable d’action et de réaction n’en sera pas moins quelque chose de réel et d’indépendant du sujet pensant, lors même qu’elle ne nous apparaîtrait que suivant les lois et les conditions de la sensibilité. Enfin, si l’on admet la théorie originale et tout à fait neuve par laquelle MM. Al. Bain et Mill expliquent l’origine de la notion d’étendue, cette théorie, qui réduit l’étendue à n’être qu’une résultante de la sensation musculaire combinée avec le sentiment de la durée, n’a rien d’incompatible avec l’hypothèse qui suppose à la sensation de résistance un fondement objectif.

On insiste sur le caractère relatif de la perception externe ; mais la perception, pour être relative, n’en a pas moins un objet. Relatif et subjectif ne sont pas deux mots équivalons. Un objet étant donné, je conviens qu’il ne peut être perçu que suivant le mode de ma sensibilité ; il ne s’ensuit nullement qu’il ne soit rien en dehors des modes de la sensibilité. Qui dit rapport suppose deux termes ; si je suis le seul terme de la connaissance, pourquoi dire que ma connaissance est relative ? Au contraire, dans ce cas elle est absolue, car il est absolument vrai que j’ai chaud quand j’ai chaud, et que j’ai froid quand j’ai froid. Ma perception ne sera relative que si j’admets qu’un même objet différent de moi est chaud pour ma main gauche et froid pour ma main droite. C’est une erreur de croire que le sujet ne met rien de lui-même dans la connaissance ; c’est une autre erreur de croire qu’il y met tout. « La sensation, a dit Aristote, est l’acte commun du sensible et du sentant. » La sensation est donc une résultante, le point de coïncidence des deux termes, moi et non-moi ; on n’est autorisé par rien à supprimer l’un des deux facteurs.


III

Examinons en terminant quelques-unes des difficultés traditionnelles que le scepticisme de tous les temps a élevées contre la