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les voyons constitués aux âges de l’histoire positive. C’est ainsi qu’Abraham et son neveu Loth deviennent les pères de presque tous les peuples sémites compris entre le Liban et l’extrémité de la péninsule arabique, et comme tous deux descendent de Thérach, on voit se refléter dans cette vieille généalogie la conscience de la parenté d’origine, de langue, d’esprit, de croyances, qui unissait les divers membres de ce groupe considérable. De même le voisinage et les rivalités des Édomites et des Israélites sont à la base du récit d’après lequel Édom ou Esaü et Jacob sont deux jumeaux se disputant dès le sein de leur mère la primogéniture, c’est-à-dire la primauté. Esaü pourtant est l’aîné de fait, car les Israélites, lorsqu’ils envahirent la terre promise, trouvèrent les Édomites établis avant eux au sud du pays ; mais Jacob, plus rusé, trouve moyen de s’assurer la supériorité qui semblait devoir appartenir à son frère. Il n’est guère douteux qu’il faut attribuer la même règle à la constitution des douze tribus d’Israël, filles à divers titres du patriarche Jacob. Ces tribus confédérées reçurent pour patriarches les fils des épouses nobles ou de leurs servantes, selon que leur population fut reconnue de sang plus ou moins pur. En racontant les origines des peuples dont elles s’occupent, ces naïves histoires tiennent peu de compte d’une circonstance qu’elles servent souvent elles-mêmes à démontrer, à savoir que l’accroissement numérique d’une peuplade ne provient que pour une faible part de la multiplication en ligne directe d’une famille originelle. Les peuples se forment surtout par adjonction. Des peuplades voisines sont asservies par la plus puissante ou bien s’annexent volontairement ; elles absorbent des élémens nomades attirés dans leur orbite ou bien des populations envahies. Peu à peu la fusion s’opère, un type national se dégage, la nation prend conscience de son unité, et ramène à un seul premier père tous les groupes dont elle se compose. On peut observer que les généalogies mythiques d’Israël sont très peu flatteuses pour les peuples au milieu desquels il se sait le dernier venu et qu’il prétend dominer. Les Cananéens remontent à Cham, le fils impudique, et sont déjà maudits dans sa personne. Les Madianites sont issus de Kétura, la concubine d’Abraham, les Ismaélites de Hagar, son esclave. Les Moabites et les Hammonites proviennent d’un inceste. Israël au contraire, le dernier rejeton de la vieille souche thérachile, est né d’épouses légitimes, de sang irréprochable, Sara, Rebecca, et en vertu d’une espèce de miracle.

Puisque la situation politique internationale des temps postérieurs forme visiblement le fil directeur de l’histoire patriarcale, il faut renoncer à y chercher des personnes bien distinctes et des événemens bien réels. Ce qui demeure constant, c’est qu’à une époque