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faculté intuitive les réalités transcendantes. Sa philosophie rigoureusement empirique n’admet rien qu’on ne puisse ramener à l’expérience. Il n’en est que plus intéressant de le voir soutenir contre Hamilton que les idées d’infini ou d’absolu ne sont des notions ni contradictoires, ni inconcevables. Il montre que ce qui est contradictoire, c’est l’idée d’un infini abstrait qui serait infiniment toutes choses, à savoir grand et petit, long et court, respectable et méprisable à la fois, qui porterait à l’infini toutes les contradictions, ou d’un absolu qui serait en même temps absolument bon et absolument mauvais, absolument sage et absolument fou. Voilà, suivant M. Mill, ce qui serait contradictoire, et à ce propos il s’exprime avec assez peu de respect pour Hegel, qui a cru nécessaire d’accumuler toutes les contradictions dans son absolu ; mais ce qui n’est pas contradictoire, c’est l’idée d’un être ou d’un attribut conçu soit comme infini, soit comme absolu. Un temps infini, un espace infini, une sagesse absolue, une bonté absolue, n’ont rien de contradictoire, et portent dans notre esprit des idées claires, quoique non adéquates. Nous renvoyons à cette belle discussion, où le secours nous vient d’où nous n’aurions pas osé l’espérer, et où l’auteur nous paraît avoir entièrement raison contre son savant adversaire. Nous ne pouvons également qu’approuver sans réserve la discussion sur la philosophie religieuse d’Hamilton. La prétention de faire accepter par la croyance ce qui a été déclaré inaccessible à la connaissance, de faire passer des mystères, même contradictoires, à la faveur d’un scepticisme préalable, cette prétention de l’école d’Hamilton, trop facilement accueillie par des théologiens aveuglés sur le danger de ces fausses démarches, n’a jamais trouvé un critique plus éclairé et plus solide que ne l’est ici M. Stuart Mill. Cette partie de son livre obtient de notre part une adhésion sans réserve.

Signalons encore une intéressante discussion sur la causalité dans laquelle la critique de l’auteur nous paraît excellente et très solide. Quelque opinion en effet que l’on professe sur le principe de causalité, il sera vrai qu’il ne faut pas le confondre, comme le fait Hamilton, avec le principe de substance, ni réduire, comme le dit très bien M. Mill, la cause efficiente à la cause matérielle. Enfin M. Mill est encore dans le vrai lorsqu’il relève les accusations exagérées et même un peu brutales qu’Hamilton avait dirigées contre l’étude des mathématiques. En un mot, dans toutes ces controverses, M. Mill déploie une extrême sagacité, et il faut reconnaître que, sans donner raison à ses opinions, on est souvent obligé de donner raison à ses critiques. Nous en trouverons encore un remarquable exemple dans la discussion sur la perception extérieure.

On ne saurait être aussi satisfait de quelques autres discussions de l’auteur, en particulier de sa controverse sur la liberté. Nous