Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/952

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reproche s’appliquerait à M. Mill lui-même, et sa philosophie aurait sans doute eu plus de largeur, s’il eût possédé aussi profondément que M. Hamilton soit la philosophie des anciens, soit la philosophie allemande. Hamilton, comme M. Mill, est surtout un dialecticien ; mais il ne l’est pas de la même manière. Sa principale qualité est la force, celle de M. Mill la finesse et la souplesse. Hamilton ressemble à quelqu’un qui creuse un sillon, M. Mill à quelqu’un qui débrouille un écheveau. Dans la controverse, Hamilton avait la dureté et la laideur du scholar ; M. Mill y apporte davantage l’aisance et la bonne grâce de l’homme du monde. Ici, sa polémique contre Hamilton est singulièrement pressante, et l’on aimerait à savoir ce que celui-ci, qui ne restait pas volontiers à court, eût pu répondre. M. Mill exprime d’ailleurs lui-même ce sentiment avec beaucoup de convenance et de respect pour son éminent adversaire.

Ceux qui connaissent d’une manière générale les doctrines de M. Hamilton et de M. Mill se demanderont peut-être avec quelque étonnement pourquoi celui-ci a consacré une étude critique si étendue et si complète à une philosophie dosât les principes ne paraissent pas tout d’abord trop éloignés des siens. En effet, Hamilton appartient à cette école critique qui considère la connaissance humaine comme relative, qui interdit toute recherche sur la nature des choses et en particulier sur l’infini, l’absolu, le divin, objets de croyance, non de science, qui par conséquent exclut toute métaphysique, toute hypothèse spéculative, qui enfin ne parait guère autre chose qu’une sorte de scepticisme. Or les propositions que nous venons d’énoncer n’ont-elles pas été de tout temps particulièrement chères à la philosophie de l’expérience ? Relativité de la connaissance, exclusion de toute ontologie, réduction de la philosophie à l’idéologie, ces trois principes ne sont-ils pas ou ne paraissent-ils pas appartenir en commun à M. Mill et à M. Hamilton ? Pourquoi donc, lorsqu’on est d’accord sur des points aussi essentiels, consumer tant de temps et tant de travail à se combattre, comme si l’on voulait absolument prouver à la galerie que les philosophes qui paraissent s’entendre le plus ne s’entendent réellement pas ? La vérité est que Mill et Hamilton, malgré l’apparent accord de leurs tendances générales, appartiennent cependant à deux mondes philosophiques différens. L’un descend en droite ligne de Hume, l’autre de Reid, et, quoique entre les mains d’Hamilton la philosophie de Reid se soit gravement transformée, on la reconnaît encore dans ses traits fondamentaux ; si elle s’est modifiée, c’est surtout par l’introduction de quelques élémens germaniques, aussi opposés à l’esprit de Mill que les principes de Reid eux-mêmes. Hamilton fait pressentir la direction d’idées qui signalera la seconde partie du XIXe siècle ; mais