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sont nouveaux et témoignent d’une finesse d’analyse qui a été rarement égalée. Le fonds des pensées est un fonds commun ; mais la manière est bien à lui. Il a su appliquer à un grand nombre de questions particulières les principes de son école ; il excelle surtout à démêler les difficultés qui lui sont opposées, et, comme dialecticien, il a peu de rivaux, je ne sais même s’il a quelque égal dans la philosophie européenne. C’est un esprit d’une indépendance sans limites, aussi éloigné d’ailleurs du parti-pris sectaire que de la servilité doctrinale. Tout attaché qu’il est aux principes qui lui sont chers, il essaie de les rendre conciliables avec le plus grand nombre possible d’opinions et de points de vue. Ce qu’il y a d’admirable en lui, c’est la sincérité ; je ne parle pas de cette sincérité vulgaire qui consiste à ne pas tromper sciemment le lecteur, je parle de cette bonne foi supérieure qui dans la discussion cherche non pas la victoire, mais la vérité, qui ne se propose pas pour objet de discréditer l’adversaire, mais cherche seulement à éclairer les questions. Cette noble impartialité, si rare en France, où les combats philosophiques aussi bien que les combats politiques sont toujours des guerres de parti, est un des principaux charmes des écrits de M. Stuart Mill, et lui mérite la sympathie de ceux qui partagent le moins ses idées.

Un tel esprit est surtout intéressant dans la polémique, et lorsqu’il choisit pour adversaire l’un des philosophes les plus célèbres de l’Écosse, qui lui-même a été un des plus remarquables esprits de son temps, M. Hamilton, un duel de cette nature offre évidemment le plus attachant intérêt. Hamilton, le dernier des Écossais, mort il y a quelques années, est, comme M. Mill, une remarquable et originale personnalité. Comme celui-ci, il n’a pas eu le génie de l’invention ; mais, comme lui, il a bien imprimé son cachet à un certain nombre de doctrines dont il n’était pas l’inventeur. Il n’avait pas la vaste étendue de connaissances de M. Mill ; il n’avait pas associé, ce qui cependant est traditionnel en Angleterre et en Écosse, les études sociales et politiques aux études philosophiques proprement dites ; il connaissait peu les sciences physiques et naturelles, et n’estimait guère les mathématiques. En revanche, il a sur M. Stuart Mill une grande supériorité au point de vue de l’érudition philosophique. Il a été un des hommes les plus savans de son temps ; nul n’a mieux connu l’histoire des questions philosophiques ; nul n’a mieux démêlé toutes les solutions possibles d’un problème, et, s’il paraît quelquefois accablé sous le poids de son érudition, on ne peut nier que cette science profonde ne lui ait été souvent d’une grande utilité dans la discussion. On sait combien elle a manqué en général aux Écossais, et M. Mill leur reproche avec raison de n’avoir pas bien connu tout ce qui s’était fait avant eux. Peut-être un tel