Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/94

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inusable, plus fort que tout, de l’astre qui parcourt sans fatigue et sans diminution les champs immenses du firmament. Ces dieux-taureaux de métal se retrouvent aussi dans les sanctuaires sémitiques plus ou moins hellénisés de la Méditerranée, depuis le Talus et le Minotaure de la Crète jusqu’au Jupiter du Thabor (Athabyrius, du « haut lieu ») qu’on adorait en Sicile.

Un observateur attentif aura peut-être reconnu déjà ce qui distingue essentiellement cette mythologie de toutes les autres. La préoccupation plus constante, plus exclusive qu’ailleurs de ce qui produit et détruit la vie à la surface de la terre et de ce qui en représente la durée indestructible dans le ciel fait aussi que l’idée de force souveraine prédomine dans cet ensemble de conceptions mythologiques. Tandis que les noms des dieux indo-européens signalent d’ordinaire les côtés de leur être qui frappent les sens, les yeux surtout, par exemple l’éclat, la beauté, la forme, la ressemblance ou l’analogie avec quelque phénomène terrestre, les noms des dieux sémitiques ont quelque chose à la fois de personnel et d’abstrait, peuvent passer sans aucune difficulté d’un dieu à l’autre, et se rattachent toujours étroitement à l’idée centrale que nous venons d’indiquer. El, c’est le fort ; Adôn ou Adonaï, c’est le maître ; Baal, le seigneur ; Kémos, le dompteur ; Moloch, le roi, Éloah, l’objet d’épouvante. Dans cette direction primordiale de la pensée religieuse, il y a déjà des motifs pour louer et célébrer la Divinité plutôt que pour la dépeindre, et, si l’attribut divin par excellence consiste dans la force invincible, il sera singulier de limiter la puissance du dieu adoré en la répartissant sur plusieurs autres ; mais n’anticipons pas. La mythologie raisonne aussi à sa manière ; seulement cette manière est excessivement lente, et supporte admirablement la contradiction. Ce qui résulte encore de cette conception première de la religion sémitique, c’est que la puissance souveraine, dans ses rapports avec la vie terrestre, pourra se présenter sous deux aspects bien différens. Elle peut être la force bienfaisante qui fait vivre, qui répand la joie, la lumière, le bien-être ; elle peut être aussi la force terrible qui, si rien ne l’arrête ou ne l’apaise, dévore, consume, anéantit la vie. Le soleil, surtout le soleil d’Orient, se prête aisément à cette double conception, et sans prétendre qu’elle ait engendré deux divinités entièrement opposées, nous pouvons dire que telle fut à peu près la distinction consacrée par les cultes, d’ailleurs très voisins, de Baal et de Moloch. Le premier représenta le soleil vivifiant, rutilant, prince de la vie ; le second fut plutôt le soleil impitoyable qui brûle tout sur son passage, et qui semble en vouloir à la vie universelle. C’est pourquoi, dans cette haute antiquité où la religion se souciait peu de la morale, le culte de Baal