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nullement exception au reste de l’humanité quant au déroulement des idées religieuses. Elle aussi, comme les autres, a eu sa période de fétichisme, de naturalisme, de polythéisme, dont les traces sont encore visibles même au sein de la religion purifiée d’Israël. On peut s’assurer aisément que le soleil, la lune, les étoiles, dans les rapports apparens ou réels qu’ils pouvaient présenter avec le sol terrestre et la vie humaine, ont été les objets d’adoration préférés ; mais, chose essentielle à noter, ce qui les a le plus frappés, c’est moins encore la beauté que la force de ces corps célestes. Ce qui dure, ce qui produit, ce qui détruit, en un mot ce qui résiste à tout et triomphe de tout, voilà le divin pour les Sémites. C’est pourquoi la pierre, le rocher qui brave les siècles et les orages, a pour eux quelque chose de divin, non moins que l’arbre verdoyant en qui s’épanouit la vie communiquée par le ciel et qui défie les feux du désert. Par la même raison, les effets du soleil brûlant ou du feu céleste provoquent plus souvent qu’ailleurs une vénération superstitieuse. Ils aiment à adorer sur le sommet des montagnes, sur « les hauts lieux, » où l’on est plus près des dieux, et dans les pays de plaine ils élèvent des tours colossales, comme à Babylone, pour s’en rapprocher. Bélus, Baal, Kémos, Moloch, Adonis ou Adonaï, sont, à n’en pas douter, autant de soleils. Leurs représentations symboliques, les détails de leurs cultes, les mythes qui les concernent, ne s’expliquent pas autrement. De même Sémiramis, Mylitta, Aschera, Astarté, sont des lunes. Aussi les Sémites ont-ils des histoires de dieux qui meurent en automne et ressuscitent au printemps, et plusieurs de ces légendes, semées par les Phéniciens tout le long de la Méditerranée, se sont vues incorporées dans la mythologie grecque, où elles font une étrange figure. Lorsque commencèrent les voyages de curiosité, les premiers touristes grecs furent bien surpris de découvrir en Crète un berceau et un tombeau de Jupiter. Ce tombeau engendra le premier rationalisme : Jupiter était donc un ancien roi de Crète ! Le mythe si dramatique de Vénus et d’Adonis, une partie notable des fables dont Hercule est le héros, sont d’origine sémitique, et l’on resta longtemps sans savoir que les « colonnes d’Hercule » étaient régulièrement dressées à l’entrée de tous les sanctuaires phéniciens et même du temple de Salomon. Un trait sémitique aussi, c’est le penchant à représenter la Divinité non-seulement sous l’image d’un taureau, mais spécialement d’un taureau de métal fondu. Quand ce métal est l’or ou l’airain brillant, il ne représente que mieux le dieu favori des peuples de cette famille ; mais bien souvent l’idole est simplement de fer. L’idée inspiratrice de ce symbolisme, qui n’a rien de commun avec le culte des animaux vivans de l’Égypte où de l’Inde, est celle du caractère