Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/923

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voque. Remarquons d’abord que ces termes sont aujourd’hui tout à fait impropres. Comme on l’a vu plus haut, lorsqu’il existait des prohibitions, la liberté pouvait jusqu’à un certain point être partie au débat ; mais depuis le traité de commerce les prohibitions ont disparu, chacun est libre de se procurer tous les produits étrangers sans exception : il s’agit simplement de savoir quel droit ces produits acquitteront. Ce n’est plus une question de liberté qui se discute, c’est une question d’impôt. Personne ne s’avisera de soutenir que la propriété n’est pas libre en France parce qu’on ne peut l’acquérir sans payer un droit fort lourd. Pour rester dans la vérité, on devrait donc parler non plus de liberté commerciale, mais de réforme des tarifs. On se garde bien de le faire, l’enseigne est trop bonne pour être mise au rebut ; on la conserve au contraire précieusement, et on y gagne, tout en se ménageant la faveur de l’administration, de s’assurer l’appui des amis de la liberté politique.

Qu’entendait-on autrefois par libre échange ? qu’entend-on aujourd’hui par liberté commerciale ? Il est facile de répondre à la première question. Les promoteurs du libre échange ont assez écrit et parlé assez haut pour ne laisser aucun doute sur leurs intentions. Afin d’édifier le lecteur à cet égard, on ne peut mieux faire que de laisser la parole à Bastiat, en transcrivant une sorte de profession de foi placée en tête de ses Sophismes économiques.

« Dans une critique d’ailleurs très bienveillante, M. de Romanet suppose que je demande la suppression des douanes. M. de Romanet se trompe. Je demande la suppression du régime protecteur. Nous ne refusons pas des taxes au gouvernement ; mais nous voudrions, si cela est possible, dissuader les gouvernés de se taxer les uns les autres. Napoléon a dit : « La douane ne doit pas être un instrument fiscal, elle doit être un moyen de protéger l’industrie. » Nous plaidons le contraire, et nous disons : La douane ne doit pas être aux mains des travailleurs un instrument de rapine réciproque, mais elle peut être une machine fiscale aussi bonne qu’une autre… Après cela, je n’ai pas de répugnance à dire quel est mon vœu. Je voudrais que l’opinion fût amenée à sanctionner une loi de douanes conçue à peu près en ces termes : les objets de première nécessité paieront un droit ad valorem de 5 pour 100, les objets de convenance 10 pour 100, les objets de luxe 15 ou 20 pour 100. »

Ceci est parfaitement clair et ne laisse prise à aucune équivoque. Conservation des douanes, transformation des droits protecteurs en droits fiscaux, réduction de ces droits à 10 pour 100 au moins en moyenne, voilà le programme des parrains du libre échange, programme modéré au fond, bien que toujours agressif dans les termes,