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Ils fixèrent chacun la proportion an taux énorme de 30 à 35 pour 100 environ, et ce résultat ne les surprit pas médiocrement ; ils n’y avaient jamais pris garde.

En présence d’un pareil chiffre, il était facile de s’entendre. « Vous ne pouvez aujourd’hui soutenir la concurrence des draps anglais, pouvait-on leur dire, c’est tout naturel, et vous comprenez maintenant pourquoi ; mais supposons que les droits qui pèsent sur vous soient réduits de manière à n’entrer plus que pour 10 pour 100, au lieu de 35, dans la composition de vos prix de revient. Ceux-ci diminueront de 25 pour 100. Une baisse aussi considérable imprimera sans aucun doute un élan marqué à la consommation, premier avantage pour votre industrie. De plus vous pourriez, soit augmenter d’un quart la masse de vos affaires avec le même capital, soit diminuer ce capital d’un quart pour le même chiffre d’affaires : de là diminution de vos frais généraux, ce qui est une source importante d’économie. Ainsi, en abaissant vos prix de vente de 25 pour 100, vous conserveriez un bénéfice égal, sinon supérieur. Supposez encore qu’on lève la prohibition des draps anglais et qu’on lui substitue un droit de 10 pour 100. Il faut bien y ajouter au moins 5 pour 100 pour frais de voyage, commission, transport, assurance ; 25 pour 100 d’un côté, 15 de l’autre, cela fait en tout 40 pour 100. Croyez-vous que les Anglais fabriquent à 40 pour 100 meilleur marché que vous ? Certainement non. Vous n’auriez donc absolument rien à redouter de leur concurrence. » Le même calcul appliqué aux autres branches de l’industrie aurait donné à peu près pour toutes le même résultat.

Par une inadvertance inexplicable, on ne vit que l’effet sans démêler la cause. On touchait du doigt la cherté des produits français, on ne se donna pas la peine de chercher à quoi elle était due, et on trouva plus commode d’inventer pour les besoins du débat la plus singulière théorie. On admit comme un fait incontestable que la Providence a doué les nations d’aptitudes industrielles tout à fait spéciales, que tel peuple, admirablement doué pour le travail des métaux, est radicalement incapable de faire des bottes, que tel autre, destiné de toute éternité à tisser du drap ou du calicot, ne peut, sans enfreindre les lois providentielles, s’adonner à la ganterie ou à la chapellerie. Partant de ce fait, on n’était plus embarrassé pour résoudre la question.

Il n’est pas nécessaire, disait-on, de produire soi-même la viande et le pain dont on se nourrit. Faites autre chose, et avec le prix de votre travail vous achèterez à l’étranger le bétail et le blé. Il n’est pas nécessaire de tisser soi-même le drap dont on s’habille ; faites autre chose. Malheureusement, les produits français étant presque