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à la chambre des communes. Remarquons en second lieu que le parlement ne toucha point à l’acte de navigation et au tarif des vins. Il faillit au principe du libre échange en conservant la protection sur les seuls points où la concurrence parût sérieusement à craindre.

L’exemple fut contagieux, et le mouvement ne tarda point à se propager en France. Une association se forma sur le modèle de l’Anti-corn-laws league, dont elle n’imita pas l’adroite tactique. Au lieu de dresser ses batteries contre une position spéciale, difficile à défendre, de circonscrire ses efforts dans un champ limité, elle prit bravement le taureau par les cornes : elle s’intitula Association pour le libre échange, et se donna la mission de renverser d’un coup le régime protecteur tout entier. C’était débuter par une grave imprudence que l’on aggrava encore par la manière dont la campagne fut conduite. L’association était née dans le midi, où les têtes sont ardentes et où les polémiques se montent facilement à un diapason élevé. Les premiers coups furent portés avec une violence qui étonnerait sans doute beaucoup aujourd’hui ceux mêmes qui les donnèrent. On présentait le régime protecteur, — qui était après tout la loi du pays, — comme une monstrueuse iniquité. On accusait les industriels de constituer une féodalité oppressive, on les comparait aux barons pillards du moyen âge. On assimilait les pauvres douaniers aux brigands calabrais. On faisait de la contrebande le plus saint des devoirs. Bastiat lui-même, malgré son ferme bon sens et sa modération habituelle, glissait sur cette pente fâcheuse. Lorsqu’on relit ses pamphlets, qui ont survécu à peu près seuls parmi les productions de cette littérature de circonstance, on y trouve à chaque page les mots de « monopole, spoliation, filouterie. » L’un d’entre eux est même consacré tout entier à comparer le vol à la prime au vol de grand chemin.

Maintenant que les passions sont refroidies, on a peine à s’expliquer de pareilles exagérations, souverainement injustes et maladroites. Les industriels étaient puissans ; ils avaient fondé de leur côté une association pour la défense du travail national. Violemment attaqués, ils se défendirent avec une violence égale, mais plus excusable, il faut le reconnaître. Quand un homme voit engagés dans une discussion sa fortune, son honneur commercial, l’avenir de sa famille, on ne peut exiger qu’il conserve le même sang-froid que celui qui, dégagé de tout intérêt personnel, traite la question dans son cabinet au point de vue théorique.

La ligne de conduite de l’association était pourtant clairement tracée d’avance par le simple bon sens. D’abord il ne fallait pas se poser en imitateurs de l’Angleterre. Celle-ci possédait des capitaux abondans et à bon marché, une immense flotte commerciale pour