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LA PROTECTION
et
LA LIBERTÉ COMMERCIALE

La liberté commerciale est en France passée dans les faits, elle n’a pas encore pénétré dans les esprits. Le pays la supporte avec une indifférence légèrement hostile : il ne la comprend pas bien, il n’est pas encore converti. Cette disposition de l’opinion publique est très fâcheuse assurément ; toutefois il faut bien reconnaître qu’elle était à peu près inévitable, et qu’il y a pour cela de sérieux motifs. La liberté commerciale a hérité des répugnances, des craintes soulevées autrefois comme à plaisir contre le libre échange par la maladresse de ses prôneurs. En second lieu, la réforme douanière a été une de ces surprises, un de ces coups de théâtre, auxquels la France finira peut-être par s’habituer à la longue, mais qui la troublent et l’inquiètent profondément. Enfin elle s’est accomplie sous la forme insolite d’un traité de commerce qui avait pour but de la soustraire au contrôle du corps législatif. Certains l’ont accueillie comme une concession arrachée à la faiblesse du gouvernement par l’astuce de l’Angleterre ; à d’autres elle a rappelé le fameux traité de M. de Vergennes, dont le souvenir néfaste se transmet de génération en génération chez les industriels français. Ce qui est certain, c’est que jamais réforme si importante n’avait été conduite d’une façon, si cavalière ; jamais on ne s’était donné moins de peine pour éclairer un pays dont on changeait les habitudes séculaires, dont on heurtait les préjugés sans avoir seulement daigné le consulter.

Portée au corps législatif, la mesure, dit-on, eût infailliblement échoué devant la coalition d’intérêts alarmés à tort. L’opinion publique n’étant pas mûre, on ne pouvait, ajoute-t-on, songer à s’ap-