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autant d’ouvriers qui travaillent sans le savoir à la réalisation de ses plans. Il ne supporte pas qu’on adore d’autres dieux à côté de lui. D’ailleurs une telle adoration serait absurde ; les autres dieux, que les prophètes identifient avec leurs idoles, sont des êtres de néant, qui ne peuvent accorder aucun secours à leurs adorateurs. Les prophètes se taisent ou à peu près sur la loi de Moïse, comme si ce que nous entendons par là n’existait pas encore de leur temps, et que le culte régulier de Jehovah, célébré dans le sanctuaire de Jérusalem, n’eût d’autre base que de vieilles traditions ou des rites passés dans les habitudes, consistant en sacrifices, en fêtes annuelles, auxquels ils n’attachent qu’une valeur assez médiocre. Le sabbat même, qu’on observe autour d’eux, et qui plus tard sera la marque par excellence de la piété juive, ne leur paraît pas de première importance. Leurs exigences sont surtout morales, et ils font une guerre acharnée au formalisme. Le plus souvent ils s’en prennent surtout aux grands, aux riches, aux puissans, non-seulement parce que c’est la classe dont les écarts offrent le plus de prise à leurs censures, mais un peu aussi parce que ce qui s’élève sur la terre, ce qui brille, ce qui domine, leur fait plus ou moins l’effet d’une usurpation sur le domaine réservé de Jehovah. Enfin, sous des couleurs assez vagues et variant de l’un à l’autre, ils attendent un avenir de gloire et de bonheur pour leur peuple, de suprématie incontestée du vrai Dieu et de triomphe universel de la vraie religion.

Telle est en termes très généraux la doctrine religieuse des prophètes du VIIIe siècle avant notre ère. On peut voir que le jéhovisme de ces prophètes est un monothéisme encore peu développé, médiocrement philosophique, présentant parfois comme des réminiscences d’un naturalisme antérieur, mais enfin un monothéisme assez décidé. Il ne faut pas contester ce qui est évident et aller demander à la Perse ou au platonisme grec les origines d’une religion que l’on trouvé déjà nettement dessinée dans tous ses traits essentiels longtemps avant qu’il puisse être question d’influences persanes ou helléniques. Dernièrement encore, en docte compagnie, M. Renan faisait allusion avec beaucoup de justesse à ce phénomène fondamental dans l’histoire d’Israël du monothéisme relativement élevé des voyans hébreux pendant cette période antérieure d’au moins un siècle à la captivité de Babylone. On ne peut pas croire non plus que des retouches postérieures à la captivité aient changé la teneur primitive de ces écrits prophétiques. La preuve en est qu’ils ne prévoient même pas cet événement, qui déterminera les destinées ultérieures du peuple juif. Leurs attentes d’un avenir heureux et glorieux, précédé des punitions méritées par les infidélités de