Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les confirmer ou les combattre. Rien donc de plus simple et de plus sûr que de les reproduire d’après leur témoignage indirect. Il suffit d’un travail d’induction aussi facile que légitime, et quand il sera fait, nous serons retranchés dans une première et inattaquable position qui nous servira d’observatoire pour regarder en avant et surtout en arrière.

Les prophètes qui ont brillé dans la période qui va de l’an 800 à l’an 700 avant notre ère sont Amos, Osée, l’auteur des chapitres IX-XI du livre dit de Zacharie, le premier Ésaïe, Michée, peut-être aussi Nahum. À cette époque, le pays d’Israël est divisé en deux royaumes. Celui du nord ou d’Éphraïm, qui s’est détaché de la maison de David depuis la mort de Salomon, sort d’une période de grande prospérité qu’il a due au règne glorieux de Jéroboam II ; mais après lui, c’est-à-dire depuis 771, la décadence marche à grands pas. Des révolutions, des usurpations réitérées, la pression de plus en plus écrasante du grand empire assyrien, accélèrent la ruine, et en 719 la prise de Samarie et la déportation d’une grande partie des habitans consomment la destruction du royaume d’Éphraïm. — Le royaume du sud ou de Juda, qui a pour capitale Jérusalem et qui reste toujours très fidèle à la dynastie davidique, est moins malheureux. Les règnes d’Uzias, mort en 757, et de son successeur Jotham peuvent passer pour florissans. Sous Achaz, qui monte sur le trône en 741, les Juifs deviennent à leur tour tributaires de l’Assyrie, mais sans autre mal, et depuis 725 Ézéchias, qui lui succède, secoue le joug étranger, résiste glorieusement à son puissant ennemi, et laisse en 696 son petit royaume libre et prospère.

Cet aperçu purement politique nous met en face d’un phénomène assez étrange. Par sa position entre les deux grandes puissances rivales, l’Égypte et l’Assyrie, la Palestine était condamnée à servir de point de mire à leur ambition, ou bien à chercher dans l’alliance avec l’une d’elles une compensation au danger dont elle était constamment menacée par le voisinage de l’autre. Laquelle préférer ? Le doute était permis. Aussi n’est-il pas étonnant de voir deux partis se disputer l’influence : il y a un parti égyptien et un parti assyrien ; mais il en existe encore un troisième, celui des prophètes de la Bible, et ce parti se distingue en politique par son hostilité à toute alliance étrangère. Ce n’est ni l’Égyptien ni l’Assyrien qui doivent protéger Israël, c’est son dieu Jehovah[1].

  1. C’est pour nous conformer à un usage qui, en France du moins, est encore général, que nous écrivons ainsi le nom du dieu d’Israël. On sait aujourd’hui que le nom mystérieux IHVH ne se prononçait pas de cette manière. Dans l’ancien hébreu, les voyelles n’étaient pas marquées, et les rabbins avaient interdit comme sacrilège l’articulation du « nom ineffable. » La coutume s’introduisit d’y substituer celui d’Adonaï dans la lecture publique des livres saints, et c’est pour prévenir le lecteur que, lors de l’introduction des points-voyelles, on assigna au nom IHVH les voyelles du nom substitué. Les inductions de la science moderne tendent à montrer dans le mot Jahveh la reproduction la plus probable de la prononciation antique, et cette nouvelle orthographe est de plus en plus adoptée en Hollande et en Allemagne.