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toujours voté pour le concordat et pour les prétentions cléricales. On doit en conclure que, si les Polonais étaient les maîtres dans l’empire, ils le ramèneraient dans les voies du moyen âge, dont les Allemands l’ont retiré. Cette attitude peut être un titre aux bénédictions de Rome, elle n’en est pas un à la sympathie du libéralisme européen. Jusqu’à ce jour, la politique polonaise a été sous l’influence des jésuites, et pourtant ce sont ces pères qui ont perdu la Pologne. Jusqu’au XVIIe siècle, l’histoire de la Pologne est aussi belle, aussi héroïque que celle de la Hongrie : c’est une série ininterrompue de prodigieuses victoires, sans nul esprit de violence ni de conquête. L’union volontaire avec la Lithuanie est un acte admirable. Tandis que dans toute l’Europe les persécutions religieuses dressaient des bûchers, ici régnaient la tolérance, l’égalité même pour tous les cultes. La Pologne du temps de Louis XIV était encore la première puissance de l’Europe orientale. D’où vient qu’un siècle plus tard elle est rayée de la carte de l’Europe ? L’ambition sans scrupules, la duplicité sanguinaire de la Russie en est la cause, dit-on. Sans doute, mais comment la Pologne, qui était forte lorsque la Russie n’était rien, s’est-elle laissé dévorer par celle-ci ?

Ce n’est pas le moment d’analyser les causes de la chute de la Pologne ; toutefois, si les Polonais veulent tirer de leur histoire un enseignement pratique, ils doivent surtout chercher avec soin pour quelle part leurs fautes ont été dans le désastre qui a englouti leur patrie. Leur malheur, leur faute capitale a toujours été de se trouver en retard sur leur époque. Ils ont maintenu l’anarchie du moyen âge quand autour d’eux s’organisaient des états à administration concentrée et perfectionnée ; ils n’ont pas su se soumettre aux inconvéniens d’une armée permanente quand ils étaient entourés d’armées formidables ; enfin ils ont commencé les persécutions religieuses lorsque ailleurs on ne parlait que de tolérance. Aujourd’hui quand l’Autriche, enfin réveillée, s’efforce de secouer le joug de l’église, il se trouve des paladins attardés pour la défendre, et ce sont les Polonais. Je n’ignore pas que le jeune parti démocratique a des tendances toutes différentes[1] ; mais en attendant qu’il se mette à la tête du mouvement, la défiance subsiste.

  1. La bourgeoisie des villes et la presse commencent, assure-t-on, à secouer l’influence cléricale. Ainsi les idées ultramontaines de M. Ledochowski, archevêque de Posen et ancien nonce apostolique, ont rencontré une vive opposition dans l’opinion. Plusieurs journaux de la Galicie se sont prononcés pour l’abolition du concordat. Sur les cinq grands journaux polonais, un est radical et soutient M. Smolka ; trois autres représentent différentes nuances du libéralisme, un seul est l’organe des ultramontains. Il n’en est pas moins vrai que les nobles et les propriétaires, qui forment encore la classe dominante, se rattachent en majorité à ce dernier parti. La raison en est simple. Les Polonais, luttant contre les Russes schismatiques, se sont attachés avec la même force à leur patrie et à leur église, sans se demander si cette église représentait la liberté ou le despotisme. C’est exactement comme en Irlande ; où tout catholique est ultramontain. L’homme qui a sa foi à défendre contre un adversaire puissant et d’une autre race embrassera la nuance religieuse la plus exclusive. Cela est naturel, mais n’en est pas moins regrettable pour les Polonais. Rome n’a jamais porté bonheur aux états qui se sont dévoués à sa cause. Voyez le sort de l’Autriche, de l’Espagne, de la Pologne elle-même.