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(rédaction sacerdotale) à ceux des Rois (rédaction prophétique). Pour ces deux ordres de documens, une comparaison attentive pourrait à la rigueur neutraliser les défauts de l’un par ceux de l’autre ; mais ils ont un malheur commun, qu’ils partagent du reste avec l’immense majorité des histoires de l’antiquité : le sens historique manque entièrement aux auteurs qui les ont écrits. Prêtres et prophètes s’accordent à reporter aux siècles antérieurs leurs idées, leurs croyances, leurs prétentions, leurs antipathies, leurs préférences, de sorte que l’on se trouve à chaque instant en présence de narrations qui, prises à la lettre, feraient remonter très haut des institutions et des doctrines dont on voit ailleurs que la date est relativement récente. Un historien consciencieux ne saurait donc exagérer les précautions en avançant dans ce labyrinthe. Il est absolument nécessaire de ne faire un pas en avant qu’après s’être assuré que le sol qu’on va quitter est assez solide pour servir à son tour de point de départ. C’est ainsi qu’on avance dans ces contrées aquatiques où des sentiers tortueux, à chaque instant recouverts par les eaux, serpentent au milieu de fondrières qui engloutiraient le voyageur, s’il ne sondait attentivement devant lui chaque fois qu’il lève le pied.

Il ne manque pas d’esprits qu’une telle manière d’avancer décourage et qui concluent, sans plus ample informé, à l’impossibilité de ce qui paraît si difficile, conclusion trop hâtive et régulièrement démentie par le progrès continu des sciences historiques. On va juger de la méthode aussi ingénieuse que logique à laquelle on doit de pouvoir au moins s’orienter dans ce dédale. En règle générale, quand on se propose d’éclaircir une période obscure de l’histoire, la première condition de succès dans la recherche, c’est de s’établir sur un terrain d’une fermeté à toute épreuve. Quand on a réussi à en trouver un qui réponde à cette exigence et à le bien déterminer, on est étonné de voir se détacher de la masse des élémens confus ou contradictoires qu’on ne savait comment classer des parties éclairées d’un jour tout nouveau qui révèlent une connexion inattendue avec les réalités avérées dont on dispose déjà, et en augmentent considérablement le nombre et l’importance. La même expérience se renouvelle à mesure que la masse flottante livre un plus grand nombre de parties consolidées : c’est une agglutination lente, continue, et à la condition de ne pas se hâter, de persévérer dans cette marche méthodique et prudente, on peut arriver, sinon à élucider complètement la période étudiée, du moins à en connaître clairement la physionomie générale. Les détails se groupent alors par ordre d’importance et de certitude, selon qu’ils se trouvent en relation plus ou moins étroite avec cette charpente fondamentale. Il