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Reichsrath, afin d’obtenir du ministère et de la majorité les concessions qu’on réclame. C’est en Autriche et par l’Autriche seulement, prétendent-ils, que la nationalité polonaise peut vivre, se développer et travailler à reconstituer l’ancien royaume. Donc il ne faut point par trop d’impatience mettre en péril l’existence de l’empire, ni renverser un ministère qui a tant contribué à son salut. Avec de la patience et de la persévérance, on arrivera au but. L’insuccès des députés pendant la dernière session et l’accueil dédaigneux qu’ont reçu leurs réclamations ont beaucoup diminué l’influence des modérés, surtout à Lemberg. On les accuse d’être plus autrichiens que les Viennois eux-mêmes et de sacrifier la Pologne à l’Autriche. Les chefs de ce parti sont le comte Goluchowski et M. Ziemialkowski.

Il y a en second lieu le parti radical, représenté par M. Smolka[1] et par la société démocratique de Lemberg. Ce parti veut rompre avec Vienne, ne plus envoyer de députés au Reichsrath, adopter un système de résistance passive et s’allier intimement aux Tchèques. Enfin un troisième parti se pose entre les deux précédens. Il consent à ce qu’on essaie encore une fois d’envoyer des députés au Reichsrath mais à la condition qu’on prendra d’autres hommes plus décidés, plus raides vis-à-vis du ministère et réclamant plus énergiquement le respect de l’autonomie du pays. Ce parti a pour chefs les députés qui en 1868 ont donné leur démission, entre autres un avocat de talent, M. Kornel Krzeczunowicz, et le jeune prince Adam Sapieha. Son père, le prince Léon Sapieha, accordera probablement à ce parti l’appui tacite de son influence, qui est considérable. Adam Sapieha et le prince George Czartoryski se sont tous deux prononcés très nettement dans les meetings en faveur du fédéralisme et d’une alliance intime avec les Tchèques. George Czartoryski est ce que les Anglais appellent a rising man, un homme d’avenir dont l’autorité tend à grandir. Dans un discours éloquent et surtout d’un raisonnement très serré, il montrait que l’Autriche n’était pas définitivement reconstituée, qu’elle ne trouverait une base solide qu’en donnant satisfaction à toutes les nationalités et en s’entendant avec les différentes diètes provinciales, que le salut de l’empire était dans le fédéralisme, et que, pour l’imposer aux Allemands, les Polonais devaient s’unir aux Tchèques. L’entente avec la Bohême rentre également dans le programme du prince Adam Sapieha, qui l’avait adoptée déjà lorsqu’il représentait en 1864 à Paris le gouvernement insurrectionnel polonais.

Dans la session de la diète qui vient de s’ouvrir à Lemberg, c’est le parti intermédiaire qui semble dominer. La proposition faite par

  1. M. Smolka vient de publier à Paris un volume intitulé Autriche et Russie, avec une introduction de M. Henri Martin. On peut voir aussi du même auteur, en allemand, Politische Briefe uber Polen und Russland, 1869.